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Fight Club


Fight Club Année : 1996

Titre original : Fight Club

Genre : fantastique / science-fiction

Auteur : Chuck Palahniuk

Je suis Joe l'écrivain, Joe le fou, Joe la petite existence triste et morne dans cet univers figé pour l'éternité qu'on appelle la société de consommation. Je possède un certain nombre de choses, dont un bel appartement dans un immeuble résidentiel et des meubles suédois fabriqués en série dans une usine quelque part dans le monde. Un jour, tout cela prit feu et fin tout à la fois. C'est Tyler Durden qui a tout fait péter. Je sais cela parce que Tyler le sait. Ce fut pour moi le début d'un long combat contre moi-même, entre psychose, amour et insomnies, dont l'issue ne pouvait être que l'asile. Je reprends la plume à présent pour revenir sur mon oeuvre, le Fight Club, et vous donner quelques pistes de lecture, car vous vous posez sûrement quelques questions à mon - notre - sujet. Quelle est la raison d'être des fight club lancés par Tyler, où des hommes se retrouvent dans l'unique but de se battre en duel jusqu'à ce que perte de connaissance s'ensuive ? Pourquoi Tyler et moi-même ne faisons-nous qu'un ? Pourquoi tenté-je à la fin comme au début du livre de me donner la mort ? Toutes ces questions et peut-être plus encore trouveront certainement un semblant de réponse au cours des lignes qui suivent. Je sais cela parce que Tyler le sait.

Avec ma panoplie du parfait petit employé consommateur accompli, je suis peut-être complet mais je ne suis pas comblé. Loin s'en faut. Je suis célibataire et je ne vis dans l'ensemble que pour acheter et travailler. On m'a mis dans une case et je ne souhaite pas y rester. Au fond de moi, comme tout un chacun, je bouillonne et je meurs d'envie de tout faire voler en éclat, d'exploser la façade vitrée de mon lieu de travail et de mettre un terme à cette comédie grotesque que je joue depuis ma plus tendre enfance. Et puis le rôle qu'on m'a donné ne me plaît guère. Je m'y sens prisonnier. Prisonnier d'un certain nombre de contraintes, d'un quotidien sans intérêt, de barreaux invisibles mais bel et bien présents, si bien que j'ai besoin de me libérer, de libérer cette force qui est en moi et que le société de consommation américaine des années 1990 tente de juguler et de contenir en nous divertissant par le truchement de gadgets et de films à gros budget. J'en ai marre de toutes ces conneries. J'ai l'impression d'être l'un de ces morts-vivants que Romero nous dépeint dans Le Crépuscule des morts-vivants. Cette souffrance qui est la mienne donne naissance à Tyler Durden, manifestation psychique et presque physique de ma haine. Je déteste ce monde car il n'est qu'une vulgaire fiction. Je voudrais que les gens se réveillent, je voudrais qu'ils prennent conscience de leur pouvoir, je voudrais qu'ils agissent et cessent de se comporter comme des marionnettes. Tyler est ma porte de sortie. Lors de mes longues nuits d'insomnie, c'est lui qui prend les commandes et c'est lui qui fait sauter les verrous. Tous les verrous, à commencer par celui de notre prison intérieure.

L'école, nos parents et la télévision nous inculquent une quantité phénoménale de conneries dont il nous est difficile plus tard de nous dépêtrer. Fais pas ci, fais pas ça, c'est bien, c'est mal, il faut étudier et travailler si tu veux réussir dans la vie, toujours être poli, jamais violent, etc. Eh bien moi, tout ça, j'en ai plus qu'assez. C'est la raison d'être des fight club de Tyler. Au début, c'était juste un type qui en frappait un autre - ou plutôt lui-même, puisqu'il s'agissait de Tyler et de votre narrateur préféré. Puis ça s'est répandu et tout le monde s'est mis à se taper dessus à en pisser le sang dans les bars, les parkings et les sous-sols d'immeubles délabrés. C'était sympa. En fait, même s'il y avait toujours deux adversaires, chacun se battait avant tout contre lui-même. Il s'agissait de mettre à mort - de manière métaphorique, bien entendu - le geôlier fictif que nous contenons tous dans cette petite boîte à fiction qu'on appelle cerveau. De le tabasser jusqu'à ce qu'il rende l'âme au sens littéral du terme. Qu'il nous la rende ! Ce geôlier, c'est celui qui porte un nom et un prénom, se comporte en toutes circonstances de manière appropriée, rit aux blagues stupides de ses collègues et dit oui monsieur quand son patron l'engueule en courbant l'échine, oui monsieur quand son banquier lui rappelle qu'il ne gagne pas assez pour ne pas s'endetter et oui monsieur quand le policier lui met une contravention pour excès de vitesse sur le chemin du travail. Eh bien qu'il crève, ce maudit geôlier !

Libéré de cet insupportable fardeau, je puis m'aventurer à libérer mes congénères et me trouver une femme avec qui copuler. Et c'est ce que Tyler fait. Il se tape Marla Singer, que j'ai rencontrée au cours de mes pérégrinations nocturnes dans des centres un peu spéciaux où des hommes et des femmes atteints de graves maladies viennent se soulager dans les bras les uns des autres. Je n'avais rien mais j'étais malade quand même. Ce que je venais chercher, c'était sûrement la mort. Ou plutôt la conscience de la mort. Pour retrouver goût à la vie. Et finalement Tyler est arrivé. Tyler avec ses théories fumeuses et son anarchisme révolutionnaire. Il voulait tout détruire et moi, eh bien, je ne voulais pas. Parce que le geôlier, c'est moi. Alors j'ai tout fait pour l'empêcher d'accomplir son grand-oeuvre - destruction du système en commençant bien sûr par les banques - et d'élargir le cercle déjà grandissant du fight club. Un seul moyen finit par s'imposer : le suicide. J'ai décidé d'en faire le point de départ de mon auto-biographie. Et vous savez pourquoi ? Parce que c'est toute cette putain de société qui est en train de se tirer une balle dans la tête. Oui, nous la perdons tous, la tête. Moi le premier. Du coup, ce suicide est devenu mon cliffhanger, le moyen que j'ai trouvé de provoquer dès le départ un suspense insoutenable. Lovecraft aussi, commençait ses textes par la fin. Et c'était un beau malade, quand on y réfléchit bien. Tout est sens dessus dessous, dans ce monde, alors j'ai commencé par la fin, parce que c'est aussi le début. Le meilleur moyen de tout recommencer à zéro. Vous ne trouvez pas ?

Il est venu le temps pour moi de conclure. Comme vous vous en doutez, j'ai raté ma tentative de suicide, qui n'était au fond qu'un appel au secours. Ou bien un avertissement. Si vous voulez comprendre ce que Tyler pense de la société de consommation, je vous encourage à lire mon livre et l'article sobrement intitulé Je dépense donc je suis qui se trouve sur le présent site. Pour finir, je pense qu'il me faut répondre à une dernière question : pourquoi l'auteur de Fight Club, Chuck Palahniuk, a-t-il écrit ce roman si son message correspond réellement à ce qu'il pense ? La réponse est aussi simple qu'évidente : Chuck est un geôlier. Ce n'est pas un révolutionnaire. C'est quelqu'un qui cherche à s'intégrer d'une manière particulière à notre monde en le modelant à son image. Il ne démérite pas pour autant mais, lorsqu'on voit son livre sur les rayons d'un supermarché, son message en prend un sérieux coup. Et c'est d'ailleurs tout le problème, avec la société de consommation. Elle intègre toute subversion, la diffuse et la promeut, tant et si bien que toute forme de contestation devient impossible ou presque en perdant de la sorte toute crédibilité. La solution réside probablement dans la gratuité. Seulement, qui serait assez fou pour travailler gratuitement ? Moi ? Vous ? Sur ce, je vous tire ma révérence et vous laisse faire face à vos propres contradictions.

Note : 9/10

Post-scrotum : Fight Club, c'est un putain de bon bouquin, même si la traduction française laisse parfois à désirer. Mais bon, on fait avec ce qu'on a, non ?


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