Accueil

Le lancer de nain


France. Le 27 novembre 1991, une circulaire ministérielle de Philippe Marchand, socialiste, alors ministre de l'intérieur, donne le droit aux autorités locales d'interdire l'activité dite du "lancer de nain" dans les lieux publics et prescrit aux préfets d'intervenir auprès des maires afin de les inciter à prendre des mesures contre le lancer de nain. L'activité, comme son nom l'indique, consistait à lancer des nains portant casque et protections le plus loin possible sur des matelas, se pratiquait dans certains bars, pubs et discothèques, et avait même donné lieu à des championnats du monde en 1986, en Australie, pays qui serait à l'origine de ce sport pour le moins original.

C'est le maire de la commune de Morsang-sur-Orge qui, le premier, décida d'interdire le lancer de nain en boîte de nuit, suivi par la ville d'Aix-en-Provence, qui adopta elle aussi un arrêté similaire afin de mettre en application les recommandations de la circulaire. C'était sans compter la ténacité d'un nain, M. Wackenheim, qui gagnait sa vie de cette manière (pour la première fois, il avait un salaire, et non des moindres, puisqu'il empochait chaque mois dans les 20 000 F), et de son employeur, la société Fun Production, qui allèrent contester cette interdiction devant des tribunaux administratifs. Les tribunaux de Marseilles et de Versailles décidèrent d'annuler ces arrêtés en 1992, au motif qu'il n'était en aucun cas porté atteinte à la dignité humaine. L'affaire fut alors portée devant le Conseil d'Etat, qui conclut, après des débats houleux :

L’attraction de « lancer de nains » consistant à faire lancer un nain par des spectateurs, conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d’un handicap physique et porte atteinte, par son objet même, à la dignité de la personne humaine. L’autorité investie du pouvoir de police municipale peut, dès lors, l’interdire, même en l’absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection ont été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition contre rémunération. Le respect du principe de la liberté du travail et celui de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoir de police municipale interdise une activité même licite si une telle mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l’ordre public, ce qui est le cas d’un « lancer de nains », eu égard à la nature de l’attraction en cause.

Le 27 octobre 1995, le lancer de nain est donc interdit par l'arrêt Morsang-sur-Orge.

En somme, ce qui dérangeait, dans la pratique du lancer de nain, ce n'était pas tant le fait que l'on puisse porter atteinte à la dignité des nains (considérés, au passage, comme des handicapés incapables de s'occuper d'eux-mêmes et d'avoir le moindre respect pour leur propre petite personne), que l'idée de voir des personnes normales s'abaisser - qu'on me pardonne ici le jeu de mots - à lancer des nains, car après tout, comme on dit, jeux de nains, jeux de vilains (c'était petit, je sais, mais grand est mon nanisme intellectuel).


Werna 2009-2023