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Moonwalker


Moonwalker Année : 1988

Titre original : Moonwalker

Réalisateurs : Jerry Kramer, Jim Blashfield et Colin Chilvers

Le scénario, s'il est permis de l'appeler ainsi, se présente sous forme d'une succession de clips et d'extraits de clips sans véritable lien, sinon feu le roi de la pop, j'ai nommé Michael Jackson, suivis d'un moyen métrage dans lequel l'artiste, venu des confins de l'univers à bord de lui-même (oui, nous apprenons en effet dans ce film que Michael Jackson, non content d'être un chanteur doublé d'un danseur hors pair, est également un Transformer), offre à quelques enfants la chance de combattre le mal et de vivre d'incroyables aventures à ses côtés. Ces derniers, poursuivis par l'abominable Mr Big (ça ne s'invente pas), verront au cours de la dernière scène leur héros se transformer en robot géant pour terrasser leur ennemi mortel à grands coups de hurlements, de missiles et de rayons laser. Tout est bien qui finit bien dans le monde merveilleux de cet Edward aux pieds d'argent, qui se propose alors d'interpréter en concert une chanson des Beatles, à la grande horreur des spectateurs et pour le plus grand plaisir des plus petits.

Et le pire, dans tout ça, c'est que ce film fait sens. D'une certaine manière. Et dans une certaine mesure. Au faîte de sa gloire, Michael Jackson nous offrait à l'époque une oeuvre cinématographique non identifiée (OCNI) aux allures d'hommage posthume, en apparence dépourvue de toute logique et de toute continuité. Il est probable qu'un grand nombre de spectateurs s'arrêtèrent là, sur cette image bien terne d'une réalisation tout aussi kitsch qu'incompréhensible. C'était sans compter la ténacité de l'auteur de ces lignes, qui, bien des années après l'avoir vu, voire subi, dans son enfance en n'ayant pas la moindre idée de ce qui pouvait bien se passer devant ses yeux ébahis, finit par se décider à le revoir, y découvrant par la même occasion non pas un, ni deux, mais trois niveaux de lecture. Il se propose donc aujourd'hui de partager avec vous son incroyable découverte.

Premier niveau : Moonwalker n'est effectivement qu'une suite ininterrompue de clips vidéo qui résume tout d'abord la rapide ascension de Michael Jackson sous forme d'extraits aussi divers que variés, de ses débuts dans le groupe des Jackson Five à ses premiers succès en solo sur la scène internationale. Façon de faire le point avant que de passer au film à proprement parler. Nous voyons ensuite, dans le désordre, une parodie du clip de Bad avec des enfants, Michael poursuivi par des hordes de fanatiques en pâte à modeler, puis transformé lui-même en lièvre fait de cette même matière pour leur échapper, son arrivée dans une ville enténébrée, sa fuite désespérée dans les ruelles de cette dernière, sa transformation nouvelle en voiture futuriste, puis enfin son entrée magistrale dans un club privé dont le thème est l'Amérique des années 1930 et de la prohibition, l'occasion pour notre héros de tourner l'un des plus beaux clips jamais réalisés à partir de l'une de ses meilleures compositions - Smooth Criminal -, suite à quoi Michael rencontre trois enfants, qu'il emmène avec lui combattre les méchants qui le pourchassent depuis le début de la deuxième partie du film. Autant le dire, non seulement l'ensemble est difficile à suivre, mais en plus les effets spéciaux de la première partie sont pour la plupart indigestes et plus ou moins volontairement mal faits, - animations grossières, mauvaise incrustation des bonshommes en pâte à modeler, effets de lumière douteux, etc. -, tandis que la deuxième partie ne cherche en rien à dissimuler le lieu du tournage, c'est-à-dire un studio, pour au contraire afficher clairement son statut.

Ce qui nous mène directement au second niveau : Moonwalker se donne ouvertement comme fiction. Accumulant les trucages en apparence faits maison, les personnages grotesques (entre autres, Joe Pesci, alias Mr Big, donne à son rôle un côté cartoon fort bienvenu), les éclairages surnaturels et les décors à la limite du surréalisme, le film, dans sa forme même, affirme implicitement le caractère onirique de son histoire, et pour cause - quel enfant ne rêvait dans ces années-là de se retrouver une heure et demie durant dans l'intimité de Michael Jackson ? Ou du moins en sa compagnie ? (Conscient de ce que ces propos pourraient involontairement faire penser au lecteur que gisent au sein même de ces quelques mots des sous-entendus déplacés concernant la sexualité dudit artiste, l'auteur de ces lignes tient à préciser qu'il n'en est rien.) Se retrouver à ses côtés de cet être venu des étoiles (mais après tout, Michael Jackson est une star), autrement dit dans son univers, c'est donc littéralement le rêve. Et le seul moyen de l'approcher, ce rêve, c'est évidemment le concert. D'où la fin, qui serait totalement absurde sans cette malheureuse tentative d'explication rationnelle. Si le premier niveau de lecture n'était pas assez clair quant à l'objectif de cette immodeste réalisation, le second niveau, lui, devrait sans problème faire comprendre au spectateur, même inconsciemment, qu'il s'agit là de louer le roi de la pop, de le glorifier, que dis-je, de le déifier. Malheureusement, les choses sont loin d'être aussi simples, comme nous allons le voir au cours des lignes qui suivent.

Troisième niveau : cage dorée ne nourrit point l'oiseau. Et le dieu de dissimuler sous cette manière de métafiction la cruelle réalité de sa propre existence, qui jamais ne fut autrement vécue que par et dans un monde en carton pâte construit de toutes pièces, un monde fait d'images et de représentations dont il finit par se retrouver prisonnier. D'où peut-être ses hurlements caractéristiques. Dès son enfance, maltraité par son père aussi bien physiquement que moralement, Michael monte sur scène en tant que membre des Jackson Five et fait ainsi ses premiers pas dans le monde du spectacle aux côtés de ses frères. En parallèle, il entame une carrière solo dès l'âge de treize ans, qui culminera avec la sortie des albums Thriller et Bad, sortis en 1982 et 1987. Il passe donc une grande partie de sa vie sous les yeux des journalistes, du public et des caméras (thème de l'une des premières chansons du film, dans laquelle il demande, paradoxalement, à ce qu'on le laisse enfin tranquille, ce qui n'est qu'une autre façon de faire sa propre publicité), travaillant littéralement d'arrache-pied pour construire un personnage étrange aimé de tous. Cette transformation progressive en personnalité publique, et donc fictive, faisait déjà l'objet du clip de Thriller, et constitue le point central de Moonwalker, dans lequel sa métamorphose en lapin lui permet de retourner pour quelques instants dans l'univers de l'innocence et de l'enfance, seul refuge contre la voracité de ses fans et le cannibalisme des médias. Malheureusement, cette volonté de se cacher, de se masquer, prend également corps dans le monde réel par le truchement d'un certain nombre d'interventions chirurgicales, qui finirent par le caractériser bien plus que son fameux moonwalk aux yeux du public et de la presse.

En conclusion, Moonwalker, vidéo musicale la plus vendue de tous les temps, est une oeuvre bien plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord, ce qui n'en fait pas un bon film pour autant. Il s'agit bel et bien, comme dit plus haut, d'un "film pas comme les autres" (comme l'affirme fièrement la jaquette du DVD), d'un object cinématographique non identifié qui nous apparaît aujourd'hui comme un hommage posthume (pouvait-on parler à l'époque d'hommage préhume ?) chargé de sens, un voyage onirique inoubliable en compagnie de l'homme qui faisait semblant de marcher sur la lune et dont l'esprit restera toujours avec nous.

Note : ?/10


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