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Street Fighter


Street Fighter Année : 1994

Titre original : Street Fighter

Réalisateur : Stephen E. de Sousa

Le général M. Bison, grand méchant dictateur des temps modernes inspiré tout à la fois de Joseph Staline et d'Adolf Hitler, s'est donné pour objectif ultime de conquérir la planète et d'en faire un monde meilleur. Armé de courage, de muscles et de bateaux faussement furtifs, le colonel William Guile se lance à sa poursuite, bientôt rejoint dans sa périlleuse quête par un certain nombre de combattants tout aussi aguerris qu'insipides : E. Honda, le sumotori, Ryu Hoshi, le karatéka, Ken Masters, son ami, le lieutenant Cammy, jeune et voluptueuse athlète au service du bien, le docteur Dhalsim et sa créature, sorte de mélange entre le monstre de Frankenstein et l'incroyable Hulk, j'ai nommé Carlos Blanka. Tous combattront de toutes leurs forces, parfois jusqu'à la mort, afin d'anéantir le général et ses sbires peu inspirés dans une lutte sans merci. Fort heureusement, tout se terminera pour le mieux dans le meilleur des mondes, et les nations unies vaincront une fois de plus - grâce au coup de pied sauté de Jean-Claude Van Damme.

Lyon. Soirée nanars à la boulangerie du Prado. Vous avez cette fois été convié pour une projection spéciale adaptations de beat them all. Au programme en première partie, ce film qui vous avait tant déçu lorsque, plus jeune, vous l'aviez découvert sur petit écran : Street Fighter, avec Jean-Claude Van Damme dans le rôle du gentil et feu l'excellent Raul Julia dans le rôle du méchant. Accompagné de quelques amis et d'inconnus à l'humeur pour le moins joviale, vous vous asseyez sur un banc des plus inconfortables et mourez d'impatience d'en découvrir la projection (celle du film et non du banc) sur grand écran. Peut-être sera-t-il un peu mieux, vous dites-vous, plus pour vous rassurer que pour vous convaincre. Vous n'avez pas oublié, cependant, que le tournage avait à l'époque été fatal à l'inoubliable interprète de Gomez Addams. Pauvre Raul Julia. Finir comme ça... Le film n'a pas encore commencé que vos fesses vous font déjà mal. Et lorsque les premières images apparaissent, agrémentées de doublages ridicules et de visuels tape-à-l'oeil, l'hilarité vous gagne en dépit de la douleur. Une bonne soirée, ce sera.

De toutes parts, les rires fusent, tandis que l'introduction met en place les principaux éléments et personnages de l'histoire, tentant en vain de leur donner quelque profondeur : le grand méchant montre en affirmant sa volonté d'asservir le monde à quel point il est un grand méchant, tandis que son ennemi, William Guile (interprété fort sérieusement par un Jean-Claude Van Damme d'ores et déjà sur le déclin), recrute des hommes dans l'A.N. (sorte d'armée des nations unies fictive) pour le rosser et le terrasser, nous gratifiant au passage d'un discours éloquent sur le bien fondé d'un tel combat - ce qui n'est pas sans rappeler, étrangement, la préparation médiatique que nous firent subir les Etats-Unis lors de leurs interventions militaires en Afghanistan et en Irak. Bref, on se prépare de tous côtés pour un combat sanguinaire. Ce scénario, caricatural au possible - voire ouvertement parodique (outre l'exagération des poncifs du cinéma d'action d'alors, avec ses répliques cultes et ses explosions à gogo devant lesquels un héros musclé saute pour donner l'impression qu'il en réchappe de peu, toujours sans la moindre égratignure, le réalisateur à poussé le vice jusqu'à donner aux mots anglais l'apparence du thaïlandais sur l'ensemble des affichages au cours des scènes qui se déroulent au pays de Bison, affirmant par là l'aspect décalé de son oeuvre) -, ce scénario, disais-je, suit plus ou moins le crescendo classique des films d'arts-martiaux, dans lesquels les héros affrontent des ennemis de plus en plus nombreux et dangereux, cette même logique faisant, autant le dire, tourner la dernière scène à l'orgie martiale : on se frappe en tout sens, on se frite, on se frotte, on se frictionne, on s'affronte, le tout dans une atmosphère relativement bon enfant, rythmée par un montage dans l'ensemble efficace et des plans pour la plupart invisibles - c'est-à-dire ni beaux, ni laids, mais tout simplement moyens à l'extrême. Vous réalisez bien malgré vous qu'un film aussi mauvais peut finalement avoir du bon.

Mais alors, qu'est-ce qui vous avait autrefois tant déçu ? Les acteurs ? Ils sont en effet loin d'exceller dans leur rôle, si l'on excepte Raul Julia, qui s'en donne à coeur joie pour camper son vilain tout droit sorti d'un cartoon ou d'une bande dessinée, mais ce n'est là pas la principale raison de votre rejet d'alors. Non, ce qui vous avait frappé - sans mauvais jeu de mots - et continue de le faire aujourd'hui, c'est cette impression diffuse, mais bel et bien présente, que les créateurs du film ne sont pas allés jusqu'au bout des choses : ils ont reproduit fidèlement les costumes d'une bonne partie des personnages (pourvus pour l'occasion de prénoms ridiculues), mais, probablement pour des raisons budgétaires, ont complètement dénaturé le charismatique Dhalsim, qui passe d'Indien cracheur de flammes au corps élastique à scientifique introverti, petit et faible - voilà un combattant qui, pour le coup, se retrouve à la rue, donnant de la sorte au titre du film un sens que n'avaient probablement pas anticipé les producteurs de Street Fighter -; quant aux effets spéciaux, ils sont quasiment inexistants - ce qui est totalement incompréhensible, compte tenu du jeu dont est tiré le film. Résultat, Ken et Ryu ne font pas de boules de feu façon kaméhaméha (cette technique étant remplacée par un plan tout blanc d'un dixième de seconde, tandis que leur coup de pied retourné à répétition se fait carrément hors du plan), Blanka ne génère aucune électricité ni ne se roule en boule pour traverser le décor et les corps de ses adversaires, et Guile s'avère incapable de sortir son Sonic Boom caractéristique. Seul Bison vole quelques instants, avant que d'aller se tuer lamentablement sur un mur couvert de téléviseurs - on ne peut cependant pas pour autant dire qu'il crève l'écran. Mais le clou du spectacle, c'est cet inutile bateau furtif que conduit Guile, dont on nous dit qu'il est capable de traverser les lignes ennemies sans être vu, mais qui, malgré tout, se voit dans l'obligation de tirer sur les capteurs afin de n'être pas repéré, révélant par la même occasion sa position exacte au Bison futé.

Dhalsim dans le film. Dhalsim dans le jeu.
Dhalsim vs Dhalsim


Lorsque le film se termine enfin, que le générique déroule sous vos yeux endormis son interminable liste de noms, de professions et de remerciements, et que tout autour de vous s'anime à nouveau, vous avez l'impression de vous réveiller d'un long sommeil, comme si vous aviez dormi pendant toute la durée de ce trop long métrage. Après mûre réflexion (quelques secondes suffisent dans ce cas), vous songez qu'il vous serait impossible de ne pas reconnaître au film du scénariste de Piège de cristal, en dépit de son aspect relativement kitsch, de ses acteurs ridicules, de ses répliques faussement cultes et de son manque absolu de cohérence, un certain nombre de qualités : tout d'abord, il vous a permis de passer une excellente soirée (qui se poursuivra bientôt par une partie sur borne d'arcade du jeu tiré du film, suivie d'une autre adaptation de beat them all, j'ai nommé le nullissime Double Dragon, lui aussi sorti en 1994) ; ensuite, Street Fighter fait partie de ces nanars bien rythmés qui bénéficient d'un montage efficace et devant lesquels on ne s'ennuie par conséquent pas une seconde - ou presque - ; enfin, ce sera l'occasion pour vous d'en rédiger une critique musclée pour votre site personnel, de le recommander vivement pour les soirées entre amis fortement arosées, les après-midis pluvieuses et les lendemains d'élection présidentielle, et de conclure en lui attribuant une note à sa démesure.

Note : 1/10 (du grand nanar, c'est.)

Bonus :

Erwan Bracchi jouant à Street Fighter, le jeu tiré du film.
L'auteur de ces lignes en pleine action.


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