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The Complete Far Side : 1980 - 1994


The Complete Far Side Année de publication : 2003

Titre original : The Complete Far Side : 1980 - 1994

Créateur : Gary Larson

The Far Side est une série de vignettes humoristiques inconnue en France, ou presque, et qui pourtant fut en son temps publiée dans plus de 1900 journaux à travers le monde, et ce pendant près d'une quinzaine d'années. Quant aux différents recueils dans lesquels apparurent les dessins grotesques et difformes de Gary Larson, il s'en est vendu quelque quarante-cinq millions d'exemplaires depuis leur parution. L'auteur, un être un tantinet timide qui ne désirait au départ que s'affranchir du travail salarié par le truchement d'une activité plus ou moins artisitique (il officiait alors dans un magasin de musique), prit sa retraite en 1995, considérant qu'il serait préférable de ne pas risquer d'affaiblir son oeuvre en la faisant sombrer dans la répétitivité médiocre et la médiocrité répétitive dont souffraient et souffrent encore bien trop de publications du même genre. A la lecture de The Complete Far Side : 1980 - 1994, on comprend sans mal qu'il s'agit là d'une oeuvre personnelle cohérente, où transpire et transparaît une vision particulière du monde, un univers absurde où le miroir déformant d'une plume généreuse encre notre humanité dans un reflet caricatural et disgracieux dont il est difficile de ne pas rire tant il nous touche au coeur.

La véritable raison de la disparition des dinosaures.


La caricature, la satire, la parodie, l'exagération, l'absurde, l'anthropomorphisme et le calembour sont autant de formes d'humour - parmi d'autres, dont l'humour noir cher à Charles Addams - qui se mêlent et s'entremêlent dans ce microcosme peuplé d'hommes et d'animaux tous aussi stupides les uns que les autres, des personnages qui se ressemblent tous, s'assemblent, se fondent et se confondent dans un cortège de situations burlesques et carnavalesques où l'inversion des rôles fait loi. Les traits d'esprit de Gary Larson hantent leur lecteur, le percent à jour, le travaillent et le maltraitent en permanence, lui faisant entrevoir un aspect de lui-même qu'il croyait pourtant avoir définitivement oublié : son appartenance au règne animal, son rôle au sein de la nature et sa place au coeur d'icelle. Fervent défenseur de l'environnement, passionné d'éthologie, mais également fin observateur des comportements sociaux, Gary Larson fait se côtoyer des vaches, des serpents, des vers, des chiens, des chats, des poules, des canards, des girafes, des éléphants, des fourmis, des araignées, des dinosaures, des singes, Dieu, le diable, des extraterrestres, des hommes préhistoriques et des Homo sapiens sapiens en les humiliant et les humanisant tous à égalité, provoquant de la sorte systématiquement l'hilarité par le décalage mécanique des situations représentées et des commentaires qui les accompagnent.

Moïse enfant.


Dans The Far Side, il est donc possible de voir des puces perdre leur chemin dans la fourrure devenue forêt d'un animal quelconque, un scientifique s'apprêter à faire exploser un sac par surprise aux oreilles de l'un de ses confrères alors que ce dernier travaille sur un missile nucléaire, un imbécile secouer un être venu d'ailleurs par la tête en la prenant pour une main (causant ainsi la fin du monde), une femme demander à son mari d'écraser un cafard géant, des damnés se plaindre en enfer de ce que le café est froid ("Ils ont vraiment pensé à tout !"), une chienne enseignante rappeler à ses élèves - tous des chiens - qu'il ne faut pas manger ses devoirs, des hommes préhistoriques examiner un mammouth au microscope et déclarer : "C'est un mammouth !", et ainsi de suite, pendant deux tomes de plus de 500 pages chacun. Parce que l'on finit par attendre chaque jour le moment de pouvoir en lire quelques vignettes afin d'égayer ses journées de labeur aussi minables qu'interminables, et parce que l'on s'y sent, au fond, rapidement comme chez soi, The Far Side agit sur son lecteur comme une drogue, une potion magique dont les effets s'estompent si rapidement qu'on se prend en permanence à en reprendre, afin de se sentir mieux, de voir le monde autrement, de le contempler à travers le prisme grossissant des productions grasses et graphiques de Gary Larson. Une île au large du vivant, lointaine, qui nous permet de prendre quelque distance vis-à-vis de nous-mêmes et de la pesanteur d'un quotidien par trop morne et dénué de sens.

Mammouth


Nous disions tantôt que The Far Side était une oeuvre personnelle. En témoignent les thèmes récurrents - les obsessions, peut-être - de Gary Larson : au cours des pages qui séparent ses quatorze années de dessin les unes des autres, Gary Larson évoque ses souvenirs d'enfance, et notamment sa relation particulière avec son frère, Dan, qui aimait à se jouer de sa peur des monstres en se cachant dans son placard et lui sautant dessus au beau milieu de la nuit. Cette cruauté fraternelle se retrouve, au même titre que la passion de son aîné pour les sciences dures (qu'il transmit au dessinateur), au coeur de même de l'oeuvre de Gary Larson. Ce dernier semble en effet prendre un malin plaisir à nous rappeler à chaque page combien le rire et l'horreur son liés. Certaines expressions familières prennent donc un sens littéral pour voir ici des chats morts au cours d'importantes recherches ("curiosity killed the cat"), et là Mr Crawley s'acheter du bonheur en boîte dans un magasin de liesse malgré l'avertissement de ses amis ("Money can't buy happiness"), quand des équipes de scientifiques ne causent pas tout simplement la fin du monde par mégarde ou n'organisent pas des championnats de chasse aux papillons. Synthèse épique de l'ensemble du corpus larsonien, l’anatidaephobie - une psychopathologie tout droit issue de l'imaginaire de Gary Larson - serait "la peur que, quelque part, d’une manière ou d'une autre, un canard vous observe."

Anatidaephobie


Contagieux, l'humour parfois morbide de Gary Larson aura très certainement su contaminer bon nombre de ses successeurs et, sans être indémodable - l'humour est toujours le fruit d'un certain contexte et fonctionne rarement en dehors de ce dernier -, parviendra néanmoins certainement à chatouiller les zygomatiques de ses lecteurs encore quelques années, voire quelques décennies. Preuve en est son influence sur l'auteur de ces lignes, dont les Histoires cochonnes ont déjà rendu, à plusieurs reprises, hommage au maître. A titre personnel, je vous recommande par conséquent vivement de plonger dans l'univers anthropomorphe de Gary Larson car, à n'en point douter, si la langue anglaise ne constitue pas pour vous une frontière infranchissable (il n'est guère aisé d'en trouver des traductions), vous finirez par entrapercevoir, au détour d'une case ou d'une phrase, une silhouette indistincte, un fantôme, une ombre - la vôtre.

Note : 10/10

Histoire cochonne - 72


P.S. : à titre indicatif, un pou détritivore que l'on trouve exclusivement dans les plumes de chouette s'est vu attribuer le nom de Strigiphilus garylarsoni par un zoologiste amoureux de la création larsonienne. Le Serratoterga larsoni, une espèce de papillon de la forêt tropicale équatorienne, et le Garylarsonus, un scarabée, portent également le nom du célèbre dessinateur.


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