Nous sommes en 1981, à Paris. Issei Sagawa, Japonais complexé par sa petite taille et son incroyable
maigreur, probablement dues à sa naissance prématurée ainsi qu'à une encéphalite contractée lorsqu'il était encore enfant
– il mesure un mètre cinquante-deux et pèse trente-cinq kilogrammes –, rencontre
Renée Hartevelt, une jeune Hollandaise de vingt-cinq ans, qui, comme lui, étudie à la Sorbonne.
Très vite, ils se lient d'amitié, participent ensemble à des soirées étudiantes et partagent
quelques bons moments, à discuter et travailler entre amis. Pour Issei Sagawa, c'est le coup de foudre. Le
grand amour. Il décide donc d'inviter Renée chez lui, au 10 de la rue Erlanger, profitant de sa connaissance de l'allemand et de sa
spécialisation dans la littérature comparée – il prépare alors une thèse – pour lui proposer de venir lire un poème allemand sur la mort,
poème qu'il doit, prétend-il, enregistrer pour l'un de ses cours à l'université. La jeune fille, trop heureuse
de pouvoir lui être utile, accepte volontiers l'invitation – ne se doutant de rien.
Pour ce premier et dernier rendez-vous amoureux, le 11 juin 1981, jour de son anniversaire, Issei Sagawa s'improvise grand metteur en scène, s'assurant de
ce que tout est prêt pour l'arrivée de la jeune fille, de sa carabine (une .22 Long Rifle) à son (trop) petit réfrigérateur, en passant,
et c'est là probablement la pièce maîtresse de son plan machiavélique, par son bureau, orienté vers la fenêtre, afin
que Renée lui tourne le dos lorsqu'elle lira le poème. Le soir venu, l'étudiante enfin chez lui, confortablement installée
sur la chaise qui fait face à la fenêtre, Issei Sagawa met en route le magnétophone et la voix de Renée prononce alors ses dernières paroles,
déclamant un poème sur la mort en allemand, comme prévu. Dans son dos, Issei prépare sa carabine et lui tire à bout portant dans la nuque.
Renée meurt sur le coup et s'écroule sur le sol. Il est temps pour l'étudiant de passer à table – littéralement.
Issei Sagawa s'était promis de manger en premier un morceau de ses fesses. C'est donc sans surprise qu'il s'attaque en premier
à cette région du corps de sa victime, s'apercevant, dans sa grande ignorance de l'anatomie humaine, littéraire oblige, qu'il n'y a là qu'une épaisse couche
de graisse jaunâtre, son couteau étant trop court pour atteindre la chair à malproprement parler. Il y va donc avec les mains. Une fois
rassasié, notre homme, alors âgé d'une trentaine d'années, entreprend d'assouvir son appétit sexuel sur le cadavre de la jeune
fille et lui déclare, après lui avoir fait la mort, si je puis dire, je t'aime. C'est la première fois qu'il parvient à déclarer
à haute voix ses sentiments, en français. Il en est parcouru de frissons. Leur relation pour la première fois consommée, les deux amants,
unis dans la mort et l'amour, restent cloîtrés dans l'appartement d'Issei quarante-huit heures durant – mais notre jeune cannibale
sait que cela ne pourra pas durer éternellement.
C'est la raison pour laquelle il coupe le corps en morceaux, en met une partie dans son minuscule réfrigérateur, en fait revenir
une autre à la poêle avec quelques légumes et fourre le reste dans deux valises pleines à craquer. Le soir du 13 juin 1981,
Issei Sagawa sort enfin de chez lui avec ses deux bagages pour un court voyage en taxi, demandant au chauffeur de ce dernier,
quelque peu surpris par sa requête, de le conduire au bois de Boulogne, où il espère pouvoir se débarrasser définitivement des preuves de son crime infâme.
Une fois sur les lieux, le frêle étudiant japonais a bien du mal à traîner ses deux valises, trop lourdes pour lui, si bien que l'une d'entre elles
finit par tomber, laissant derrière une immense traînée de sang – pris de panique, Issei s'enfuit.
S'il y a eu un précédent ? Bien sûr, qu'il y en a eu un ! Alors qu'il habitait encore au Japon, Issei Sagawa, âgé de
vingt-trois ans, fasciné par les femmes occidentales et nourrissant depuis sa plus tendre enfance des pulsions cannibales,
vit emménager non loin de chez lui ce qui n'était autre que l'une de ces sirènes fabuleuses venues tout droit de l'ouest,
une représentante allemande de la société de consommation dont ses rêves les plus fous étaient depuis toujours imprégnés.
C'était un signe. Par une nuit des plus romantiques, Issei enfila
donc un masque de Frankenstein et pénétra par effraction dans l'antre de la nixe aux longs cheveux blonds armé d'un parapluie,
fermement décidé à manger un morceau de son derrière.
Las, cette dernière s'éveilla en sursaut et, trop grande et trop forte pour lui, qui tenta désespérément de fuir,
l'attrapa violemment par le poignet. On l'arrêta pour tentative de viol. Fort heureusement, le père d'Issei était un
homme important, un homme riche, qui sut convaincre sans peine la jeune femme de retirer sa plainte, moyennant compensation.
Issei pouvait donc repartir à la chasse – quelques années plus tard, à Paris, capitale de la bonne chère.
Quarante-huit heures après la découverte par un passant des restes de Renée Hartevelt dans le bois de Boulogne, et après
une autopsie qui n'a pu renseigner la police sur l'identité de la victime, tant le corps de cette dernière est mutilé, c'est le chauffeur
du taxi qu'a pris Issei le soir du treize juin qui mène les enquêteurs au 10 de la rue Erlanger.
Les policiers appréhendent Issei en bas de son immeuble – et l'embarquent aussitôt. On perquisitionne son appartement,
on y découvre le magnétophone, les traces de sang, les restes dans le réfrigérateur. Ainsi que d'ignobles clichés dans un
appareil photographique. Issei ne voulait pas tuer cette pauvre
fille, mais, dans sa soif incontrôlable de chair humaine et d'amour, il ne voyait pas d'autre solution – c'était plus fort
que lui : "C'était une belle fille, une fille érotique ; j'ai décidé de la manger."
Une fois au poste, sans se faire prier, le cannibale lecteur passe à table – métaphoriquement.
Et pourtant, malgré ses aveux, malgré l'absence manifeste de tout remords, malgré la fierté qu'il ressent à l'égard de son
crime, Issei Sagawa, meurtrier, nécrophile et cannibale, ne sera jamais jugé. On le remet en liberté seulement trente-quatre
mois après son arrestation : en 1984, des experts le déclarent irresponsable sur le plan pénal, puisque fou, ce que l'intéressé,
bien évidemment, ne dément pas. On l'interne alors à Villejuif. Il est temps pour le père d'Issei d'intervenir à nouveau :
il engage un avocat très influent, M. Philippe Lemaire, qui négocie avec le gouvernement français et, grâce à des arguments
purement financiers – il serait injuste, en effet, de faire financer au contribuable français l'internement de ce fou dangereux –, parvient
à obtenir le rapatriement du cannibale japonais dans son pays d'origine, où il devra être placé dans un hôpital psychiatrique.
A son arrivée au Japon, bien qu'il soit là-bas considéré comme un homme libre, puisqu'il n'y a pas commis le moindre crime,
son père le fait interner, afin de sauvegarder l'honneur de sa famille, dans un hôpital psychiatrique – pour une courte période.
Dix-huit mois plus tard, Issei Sagawa sort de son hôpital psychiatrique tokyoïte, libre d'aller où bon lui semble – hormis, bien
sûr, la France. Sans aucun suivi. Et c'est alors qu'enfin la vie lui sourit : au milieu des années 1980,
il publie son premier livre, Dans le brouillard, un récit autobiographique centré autour de son acte, qui deviendra
un best-seller. Il publiera dix-neuf autres livres sur le même sujet au cours des années suivantes, deviendra chroniqueur
dans des journaux d'abord fétichistes, puis normaux, participera à un colloque dans une université japonaise ainsi qu'à deux pièces
de théâtre, et finira même par devenir acteur pornographique, passant de la sorte, si je puis me permettre le mauvais calembour,
de chroniqueur à gros niqueur. Aujourd'hui, devenu une veritable célébrité au Japon,
M. Sagawa vit paisiblement dans un appartement cossu de la banlieue japonaise, sous une fausse identité – par
mesure de sécurité.
De son propre aveu, cependant, M. Sagawa n'est pas guéri, qui continue d'avoir de fortes pulsions cannibales,
déteste désormais les grandes femmes occidentales aux yeux bleus et aux longs cheveux blonds, s'étant récemment
découvert un goût prononcé pour les Japonaises, qui sont selon lui les plus belles femmes du monde, et salive toujours
abondamment à la vue des jambes d'une femme sensuelle – et plus particulièrement de ses cuisses. Une note positive,
néanmoins : son amour pour les animaux demeure inchangé...
Sources : Dans la tête du cannibale japonais, documentaire diffusé sur la chaîne Planète Justice, et l'article
consacré à Issei Sagawa sur Wikipédia.
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