La chose était ronde et rose. Ça collait à la langue et ça grattait la gorge. Mais c'était bon. Le bâtonnet coincé fermement entre ses petits doigts, Candy lapait le sucre comme un chat le lait, son sourire édenté s'élargissant à chaque bouchée de vide coloré. Ses vêtements aussi, étaient roses. Et ses joues. Et ses petites chaussures. Et l'élastique épais dans ses cheveux. Les passants posaient sur elle des yeux pleins d'étoiles en la voyant déambuler ainsi dans leur monde en noir et blanc, baignant les rues sombres de sa lumière artificielle. Il commençait à faire nuit, les visages tombèrent dans l'anonymat. C'est là que Candy se perdit dans le sinistre dédale urbain, froid et effrayant. Pas un endroit pour les enfants. Mais Candy continuait de mâcher du rose, comme si de rien n'était.
La chose était ovale, désormais. Ça collait toujours à la langue et ça grattait toujours la gorge. Mais c'était toujours aussi bon. Du sucre collait à ses petits doigts de fée, Candy n'avait pas l'intention de lâcher le bâtonnet magique. C'est à la fête foraine qu'elle avait cueilli sa fleur de sucre, Candy. Le marchand l'avait regardée les yeux constellés de petites flammes, comme les autres adultes qu'elle avait croisés, mais celui-là décida qu'on ne pouvait certainement pas la laisser repartir sans rien. Et puis le rose lui allait si bien. Tiens, voilà pour toi ! Ne t'en fais pas, c'est gratuit, ma petite, gratuit ! Allez, va-t-en rejoindre tes parents avant que je ne change d'avis ! Mais Candy n'avait pas de parents. Candy vivait seule dans les rues de Domuse depuis deux jours. Ceux qui l'avaient gardée jusque-là s'en étaient lassés, l'avaient abandonnée dans un parc. Pauvre petite Candy !
La chose s'étrécissait à vue d'oeil. Le rose n'était plus aussi lumineux, bientôt Candy n'aurait plus que le bâtonnet dans ses petits doigts, plus que cet os à ronger lorsqu'elle serait complètement seule dans les ruelles tortueuses. Autour d'elle, il n'y avait plus que des ombres, silhouettes menaçantes sous la lune mélancolique. Les portes des immeubles se fermaient, les conversations se taisaient et bientôt ce fut le silence et le noir. Candy quant à elle ne s'inquiétait pas trop. Elle n'avait pas encore fini d'ôter ses pétales à sa fleur. Les filaments de sucre lui lacéraient les gencives, puis fondaient sur son estomac comme des oiseaux de proie. Il commençait à faire froid, Candy referma son manteau. Des fenêtres filtrait encore un peu de lumière, et Candy parvenait à s'orienter sans trop savoir où elle allait.
La chose n'était plus qu'un bout de bois collant. Candy rongea l'os jusqu'à s'en faire saigner les gencives, puis le garda dans sa main sans trop savoir pourquoi. Les volets des appartements se refermaient les uns après les autres. Maintenant tout était plongé dans l'obscurité, les ténèbres s'épaississaient. Candy marcha longtemps sans voir son chemin, puis s'arrêta soudain pour s'asseoir sur un banc, sous la lune. C'est là qu'elle s'endormit en rêvant de mille couleurs qui défilaient devant ses yeux, pour ne plus jamais se réveiller. Le lendemain la trouva rigide comme un morceau de bois, sur son banc de béton gris, son manteau rose devenu blanc sous la neige. La fleur de sucre entre ses doigts fanée, Candy.
Dimanche 11 janvier 2009. Erwan Bracchi.
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