Ceux d'entre vous qui me lisent régulièrement savent que la psychologie n'est pour moi pas un sujet de prédilection. Nonobstant cette apparente aversion, certaines de mes théories, appliquées tant dans mes analyses artistiques que dans mes articles et mes écrits littéraires et poétiques, rejoignent inévitablement, par le truchement des multiples circonvolutions philosophiques opérées autour de notre rapport à l'autre, au monde ainsi qu'à nous-mêmes, ce domaine particulier de la recherche et du savoir humains qu'est l'étude de notre âme. La préoccupation première de l'homme n'est-elle pas, après tout, de se connaître lui-même, comme nous y enjoignait sagement Socrate ? Il était par conséquent logique de me voir un jour plonger dans les affres de notre psyché sous un angle nouveau, remplaçant pour l'occasion le cynique par le clinique. Cependant, toute réflexion trouvant son point de départ dans le monde réel et les expériences que nous y faisons, cet article ne pouvait en aucun cas faire figure d'exception. Il est en effet le fruit de rencontres particulières, nocives, toxiques, un véritable poison social dont jaillirent, il y a de nombreuses années déjà, tout autant de souffrances que d'interrogations persistantes, au terme desquelles je parvins à trouver, à force de persévérance et de recherches, nombre de réponses - sans obtenir pour autant réponse à tout, bien entendu. De la sueur, du sang, de la chair et des nerfs, voilà ce qui me fut nécessaire pour percer le mystère de ce que les psychologues, les psychothérapeutes et les psychiatres appellent la perversion narcissique.
Tout d'abord, il importe de définir la notion même de perversion narcissique. Qu'est-ce qu'un pervers narcissique ? Ceux qu'Isabelle Nazare-Aga nomme les
"manipulateurs relationnels" représentent environ 2% à 3% de la population, se retrouvent dans toutes les classes sociales et toutes les professions et
privilégient les métiers qui leur permettent d'exercer une influence sur les autres (policier, professeur, cadre, chef d'entreprise, etc.).
Nous en avons tous rencontré. Leur personnalité se caractérise en premier lieu
par un manque total, justement, de personnalité : ils sont creux. Tout pour eux n'est en effet qu'apparences. Ils n'ont par conséquent développé qu'une
seule et unique stratégie comportementale sur le plan relationnel, qu'il est possible de résumer en deux mots : simulation et dissimulation. Il s'agit pour
eux de s'adapter à leurs interlocuteurs en portant constamment des masques afin de leur plaire et de les séduire. Ils jouent en permanence un rôle, et ce
rôle peut changer en fonction de leurs interlocuteurs, ce qui traduit un profond manque de confiance en soi. En somme, ils se cachent. Mais pas n'importe comment.
Ils se cachent en se montrant, en s'imposant, en donnant l'impression d'avoir une confiance inébranlable en eux-mêmes et créant de la sorte l'illusion du charisme.
Beaucoup se mettent en avant, surjouent l'altruisme et la sympathie, content sans fin leurs exploits, réels et imaginaires, se mettent en scène en toute circonstance
et, pour un peu, passeraient presque pour des héros. Hélas, sous leur costume se cache un prédateur dépourvu d'empathie, qui a beaucoup en commun avec
le psychopathe. Ce Narcisse incapable de s'aimer lui-même se cherche dans le regard des autres et recherche pour lui-même une proie dont il pourra sans mal
aspirer l'énergie vitale en l'anéantissant psychologiquement et, dans certains cas, physiquement.
A me voir parler ainsi, d'aucun pourrait penser que je parle ici de vampires. D'une certaine façon, c'est le cas. Le pervers narcissique est le vampire de
la vie réelle, le suceur de sang du quotidien, la goule de tous les jours, banale et presque normale. Il peut s'agir d'un ami, d'un amant, d'un mari, d'un parent.
Rien ne le distingue a priori du reste du genre humain, qu'il exècre par ailleurs, au moins autant qu'il se déteste lui-même. Comment, dès lors, peut-on le
repérer ? Malheureusement, quand on découvre enfin son vrai visage, il est souvent trop tard. Le poison fait déjà effet. Cela prend parfois plusieurs mois, voire
plusieurs années, avant de se rendre compte qu'il y a un problème. C'est qu'il est sournois, le fourbe. Il opère par petites touches impressionnistes, si bien
que, trop près de lui, nous ne parvenons pas à voir le triste portrait de lui-même qu'il projette sur notre personne en tissant sa toile, lentement mais sûrement.
Pourtant, les signes et les signaux ne manquent pas, dès le début : sa voix, comme son rire, sonne faux ; son discours change en fonction des circonstances ;
ses compliments et ses flatteries cèdent rapidement la place à des taquineries mesquines, blessantes ; sa sexualité déviante vous met mal à l'aise, qu'il
s'agisse de sévices ou d'abstention ;
il est possessif, exclusif et d'une jalousie maladive ; il vous a très tôt prévenu qu'il n'était pas quelqu'un de bien, que vous finiriez immanquablement par
souffrir, avec lui ;
son impolitesse semble sans limite, au point de vous interrompre à chaque fois que vous parlez ou de s'inviter lui-même chez vous, quitte à frapper
très fort à votre porte ou vous harceler par téléphone ; il vous noie sous un flot
de paroles parfois sans queue ni tête, bien que le tout semble cohérent ; on le prend souvent à critiquer les autres, semant ainsi la zizanie parmi ceux qui l'entourent ;
un jour, il exige que vous rompiez avec votre famille et vos amis une bonne fois pour toutes ; un autre, il vous fait culpabiliser, vous rabaisse et vous fait
sentir combien vous n'êtes rien à ses yeux ; le lendemain, vous tentez de comprendre ce qui lui arrive et, là, ce dernier vous rétorque que vous délirez, que vous interprétez
tout de travers et que vous avez un sérieux problème. Lui, en revanche, n'a jamais rien à se reprocher. S'il perd ses amis les uns à la suite des autres, et si même sa famille
ne lui adresse plus la parole, c'est parce qu'ils ont un problème et l'ont trahi. Sa perfection ne saurait être remise en question, sans quoi il perdrait la face - ou plutôt son masque.
A son contact, vous avez l'impression de perdre pied, de vous noyer. Vous appréhendez ses visites ou ses coups de téléphone, vous vous sentez mal chaque fois que
vous le voyez, au point d'en avoir des nausées et des maux de ventre, il vous fait honte devant les vôtres et pourtant, pourtant vous développez une dépendance malsaine
à son égard, que l'on pourrait presque confondre
avec le sentiment amoureux. Ce vampire a senti chez vous, dès les premiers instants de votre rencontre, une faille - un mal-être, une blessure profonde,
un sentiment d'infériorité -, qu'il exploite dans le but ultime de vous soumettre à sa volonté toute-puissante de toute-puissance. C'est la raison pour laquelle il s'attaque à des
personnes sensibles et, généralement, d'une certaine intelligence, voire d'une intelligence certaine.
A la séduction succède inévitablement la soumission. Vous ne pouvez plus vous
passer de lui, ne serait-ce que parce qu'il s'impose à vous par tous les moyens. Ses techniques sont diverses mais le résultat est toujours le même : vous vous
sentez comme emprisonné. Et pour cause : vous êtes sous emprise. Sous son emprise. Et il n'est pas près de vous lâcher. Du moins pas tant qu'il n'aura pas
absorbé tout ce qui fait de vous ce que vous êtes. N'ayant aucune intériorité, le pervers narcissique se nourrit de celle des autres. Le héros, soudain, semble
alors se transformer en bourreau. Celui qui vous avait pourtant séduit, celui par qui vous croyiez réaliser enfin tous vos rêves, devient votre pire cauchemar.
Sa méthode ? Vous rendre fou. Par le mensonge, la mauvaise foi, l'exagération, l'impossibilité de communiquer, la double contrainte, la dévalorisation, la projection, l'isolement, l'incohérence,
le silence et la victimisation (la sienne, pas la vôtre). En public, il sera toujours souriant, jovial, avenant. Mais en privé, son visage ne manquera jamais
de changer d'expression, comme si l'on avait affaire à deux personnes différentes. Vous voudriez en parler, mais à qui ? Personne ne vous croirait, pensez-vous. Et c'est
peut-être vrai, tant il est capable de dissocier ses différentes personnalités.
Le piège se referme sur vous. De toute façon, vous ne savez plus vraiment qui vous êtes. Il vous a, comme on dit, "retourné le cerveau". L'angoisse
devient dépression. Vous n'êtes plus que l'ombre de vous-même. Alors il vous délaisse comme on jette à la poubelle la carcasse du poulet qu'on vient de manger.
Puis il revient, pour s'assurer que vous êtes toujours sa chose. Le processus est sans fin. Du moins pour lui.
Du côté de la proie, cependant, il reste une solution. Non, pas le suicide, auquel se résolvent certaines victimes dans les cas les plus extrêmes - ce qu'on observe notamment
dans le cadre du harcèlement scolaire, sujet de l'excellent Respire (2014), un film de Mélanie Laurent dans lequel une jeune lycéenne martyrisée par celle qui
se présente comme sa meilleure amie finit, à bout de souffle et de nerfs, par étouffer cette dernière (le film s'intitulant respire, ce choix n'est bien entendu pas
un hasard). Pour échapper à la sensation d'étouffement que l'on éprouve avec un pervers narcissique, il n'existe qu'une solution : fuir. Il faut impérativement couper les ponts.
Ne vous laissez pas avoir par ses stratagèmes : ni les cadeaux, ni ses maladies réelles ou fictives (en sus d'être un tantinet paranoïaque, il se paie le luxe d'être hypocondriaque
à ses heures perdues), ni les promesses de changement, ni les flatteries, ni les chantages, ni les menaces (il en est capable),
ni rien d'autre ne doivent vous faire changer d'avis. Cela provoquera peut-être
une crise de rage (chez lui, bien sûr). Et alors ? Il ne faut pas se laisser impressionner par ce monstre tyrannique. Au fond, c'est un lâche. Un lâche incapable d'éprouver
le moindre sentiment pour quelqu'un d'autre que lui-même. Et la maladie mentale de cette petite princesse capricieuse, menteuse et manipulatrice (oui, les perverses narcissiques
aussi, existent) est incurable. Au mieux, son comportement s'améliorera légèrement avec l'âge, une fois qu'il aura fait le vide autour de lui. Partez, courez, volez.
Loin. Le plus loin possible. Et ne vous retournez pas, sans quoi vous seriez transformé en statue de sel.
Une fois débarrassé de ce parasite, plusieurs questions subsistent néanmoins : à qui s'attaque le pervers narcissique ? Pourquoi ? Que s'est-il passé pour qu'une
telle pathologie s'empare de son être au profit de cette indestructible prison du paraître dans laquelle il s'est enfermé ? Pour commencer, comme nous l'avons vu,
le manipulateur relationnel ne sélectionne pas ses proies au hasard. En effet, si ce caméléon s'adapte à toutes les personnes qu'il rencontre en créant sans cesse
de nouveaux masques, il ne fait bénéficier du côté profondément destructeur et malsain de sa pathologie qu'à certains individus au profil particulier : ceux dont
il a pu, souvent en quelques minutes à peine, trouver les failles et qui accordent, tout comme lui, beaucoup trop d'importance au regard de l'autre, faisant dépendre ainsi
leur bien-être, non pas de leur propre paix intérieure, mais du reflet d'eux-mêmes, positif ou négatif, que leur renvoie leur entourage. Les personnes hypersensibles
et les surdoués y sont particulièrement enclins, ce qui en fait des proies idéales pour le pervers narcissique, qui ne voit pas en eux des êtres humains à part entière,
autrement dit des sujets, mais des choses, des objets qui lui permettront d'assouvir son besoin de toute-puissance narcissique. C'est la raison pour laquelle il
appâte ses "victimes" en les caressant dans le sens du poil - cela va jusqu'à l'imitation de leur style vestimentaire et de leur manière de parler - pour ensuite,
une fois les poissons pris dans les mailles de son filet, les prendre à revers en les faisant douter de leurs qualités, de leur valeur et, pour finir, d'eux-mêmes.
Ce mécanisme est systématique. En effet, le pervers narcissique, s'il fait le mal à dessein (il ne pourra s'empêcher d'esquisser un petit sourire de satisfaction diabolique
chaque fois que ses subterfuges lui permettront de blesser ses "proches"), n'est pas nécessairement conscient de l'anormalité de son fonctionnement. Seuls 20%
d'entre eux, selon Isabelle Nazare-Aga, comprennent ce qui se passe dans leur cerveau - sans pour autant manifester l'envie de changer, même après une consultation chez
un psychologue. D'ailleurs, peu d'entre eux vont consulter, puisqu'ils se méfient (à juste de titre) des psychothérapeutes au plus haut point - les vampires ne se
méfient-ils pas des miroirs, dans lesquels on pourrait voir ou apercevoir ce qu'ils sont vraiment, c'est-à-dire personne ("personne" venant du latin persona,
qui désigne les masques portés au théâtre par les acteurs...) ? Beaucoup préféreront faire
croire à leur partenaire ou leur ami que le problème vient d'eux et les enverront consulter à leur place. Les rares cas où les pervers narcissiques finissent par
décider de se faire soigner sont généralement la conséquence d'une prise de conscience nécessaire ou forcée : plusieurs divorces successifs, une forte dépression,
des ennuis avec la justice (fréquents), un séjour en prison, la perte de tous leurs amis, voilà les seules raisons qui peuvent éventuellement les pousser, quand ils ne sombrent
pas dans le déni total, à demander de l'aide, non plus pour se faire plaindre et passer pour des victimes, mais cette fois bel et bien pour comprendre enfin ce qui
leur arrive. C'est alors l'occasion pour eux, s'ils jouent le jeu (ce qui est très rare, puisqu'ils ont aussi tendance à manipuler les psychologues...), de revenir
sur leur passé, ce moment de leur enfance où tout a basculé - enfant traumatisé, enfant mal aimé ou bien enfant roi, quoi qu'il en soit, le résultat est toujours le même : à un moment donné, le
pervers a fait le choix délibéré de vouloir tout pour lui, d'asservir son entourage par tous les moyens et toutes les ruses, se condamnant de la sorte à conserver toute
son existence le comportement d'un enfant de cinq ans. Cet enfant de cinq ans dont il refusait les sentiments - une faiblesse, à ses yeux - et qu'il a enfermé, emmuré,
enterré pour toujours dans un labyrinthe inextricable de mots, de masques et de faux-semblants. En somme, il a fait le choix de passer définitivement du côté obscur.
Au fond, c'est comme s'il était déjà mort. Les pervers narcissiques sont des morts-vivants qui ne peuvent survivre - du moins le croient-ils - qu'à condition d'entraîner tout le monde
autour d'eux dans leur chute. Voilà pourquoi ils vont vers les plus vivants d'entre nous, les plus sensibles et les plus créatifs. Ils aimeraient secrètement devenir
comme eux mais savent que cela leur est impossible. Alors, plutôt que de se résigner, ils prennent le parti de les détruire. Il n'y a rien qui puisse leur procurer plus
de jouissance que de voir sur votre visage s'effacer le sourire qui s'y affichait si naturellement quelque temps plus tôt. A contrario, rien ne peut les faire plus
enrager que de le voir réapparaître, ce sourire, et de vous savoir heureux, sans eux, loin d'eux. Ce sont des pourris et leur pourriture est contagieuse. S'éloigner, c'est
se donner les moyens de reprendre son souffle, de respirer à nouveau, de retrouver en un mot le contrôle de sa vie. On ne peut pas tout contrôler, en ce monde, et l'une
des clefs pour se sentir mieux consiste entre autres à prendre conscience de notre relative impuissance et de l'accepter. En revanche, il est possible d'agir et de se
contrôler soi-même, et cela aussi, il faut l'accepter, sans quoi nous sommes susceptibles de laisser sans cesse d'autres nous contrôler par la manipulation de nos
émotions. Dans la célèbre saga de George Lucas, Star Wars, les Siths se servent des émotions négatives de leurs ennemis pour les rallier à leur cause et
les faire passer du côté obscur. Ils se servent de leurs peurs. Et notamment de leur peur de la mort. C'est la peur originelle d'où jaillissent toutes les autres. Celui
qui se laisser submerger par la peur est aisément manipulable. C'est le savoir essentiel que possède le pervers narcissique, consciemment ou non. Et il s'en sert afin
de vous asservir. Ne plus avoir peur de la solitude, du regard des autres et de leur jugement, c'est ne plus laisser la moindre prise au pervers. Et sans prise, pas
d'emprise. Un travail sur soi s'avère donc nécessaire, et pas seulement lorsqu'on se retrouve face à ce genre de personnage.
C'est ici que mes récentes découvertes sur la perversion narcissique rejoignent mes théories, qui rejoignent elles-mêmes les idées plurimillénaires que nombre
de psychanalystes, de psychologues, de psychothérapeutes et de psychiatres se sont réappropriées. Si le vampire dont nous parlons ici provoque en nous tant d'émoi,
c'est pour une raison simple : son comportement, pour incohérent, vil et flou qu'il soit, ou plutôt justement parce qu'il est tout cela, nous oblige à donner du
sens à ses actes sans jamais pouvoir les confronter à ses pensées propres, auxquelles nous n'aurons de toute façon jamais accès. Autrement dit, nous faisons ce que
notre cerveau est programmé pour faire en toute circonstance : nous interprétons les événements présents en fonction de notre vécu, de notre expérience et de ce
que nous connaissons déjà. Cette capacité que nous avons de nous créer une représentation du monde est naturelle et se trouve également être l'un de nos principaux
moyens de survie. En nous construisant une carte mentale de notre environnement, nous écartons tout simplement tout danger, ou du moins tout sentiment de danger, et
par conséquent toute source de peur, en remplaçant l'inconnu par du connu - d'où la résistance farouche au changement qui se manifeste chez beaucoup d'entre nous (le changement,
c'est la possibilité de mourir, littéralement ou métaphoriquement, ce qui nous rappelle combien notre capacité de contrôle est minime et justifie le fantasme et la volonté
de toute-puissance, que l'on ne retrouve pas que chez les pervers narcissiques).
De même, face au nouveau, nous opérons toujours une comparaison avec ce que nous connaissons
déjà pour nous rassurer et faire appel à notre instinct, nos réflexes, ce qui permet d'éviter d'avoir à trop réfléchir. Quoi qu'il arrive, nous sommes toujours au préalable
amenés à nous créer une représentation, donc une simplification fictive, de ce que nous découvrons (ce à quoi, de fait, nous nous refusons de plus en plus
avec l'âge, puisque les possibilités de comparaison avec le passé deviennent de plus en plus nombreuses). Avec le pervers narcissique, cette représentation ne repose sur rien
de concret. Pire, elle est faite d'éléments contradictoires incompatibles entre eux. Nous entrons donc dans un monde de fou, où plus rien n'a de sens ni de logique,
où le réel, incompréhensible, est remplacé par la fiction. Cette fiction, elle émane de nous, mais nous n'en avons pas nécessairement conscience. En tant que telle,
elle nous renvoie face à nous-mêmes, comme si nous nous tenions devant un miroir, entièrement nus. Le pervers narcissique, en tant qu'il se constitue comme imitation de l'autre,
est-il autre chose qu'une surface réfléchissante ? Ainsi, le manipulateur, qui, lui, vit dans la peur en permanence, et notamment la peur de l'autre,
se contente finalement de retourner notre propre fonctionnement contre nous pour se défendre contre l'image que nous lui renvoyons de
lui-même. C'est la raison pour laquelle il ne répond pas ou se débrouille pour interrompre toute forme de communication lorsqu'on tente de lui expliquer ce que
l'on sent ou ressent. C'est un joueur d'échecs, un rhéteur hors pair, un aïkidoka surentraîné. Mais pour jouer ou se battre, il faut être deux.
En d'autres termes, il est dépendant de vous. Ce qui fait votre faiblesse fait également votre force. Comme nous le disions plus tôt, ce parasite vous force à concentrer
vos pensées sur sa personne, à vous demander constamment pourquoi il a dit telle ou telle chose, fait tel ou tel geste, vous boude ou vous trompe (l'infidélité étant très
répandue chez les pervers narcissiques), tout en cherchant désespérément "ce qui ne va pas chez vous". Vous passez ainsi votre temps à vous faire des films et ces films ne sont pas très agréables. Or, quand on se sent mal et
qu'aucune circonstance extérieure concrète (accident, maladie, douleur physique infligée par autrui) n'est la cause objective de ce mal-être, alors on en est soi-même la source. Epictète disait, il y a
environ deux mille ans : "Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses mais l'idée qu'on s'en fait". Puisque l'homme construit ses propres représentations, alors
si celles-ci lui sont douloureuses, il ne tient qu'à lui de les modifier. Je parle ici de les modifier en profondeur. C'est-à-dire d'altérer de manière positive les
mécanismes de notre pensée qui nous poussent, par exemple, à nous auto-flageller en permanence, culpabiliser ou douter de nos compétences.
Il faut donc apprendre à se connaître, comprendre quels sont ces mécanismes,
les mettre au jour, les démonter et les remonter afin de surmonter les difficultés et de se dépasser en faisant de celui qui nous apparaît alors comme notre pire
ennemi - nous-même - un ami. "Connais-toi toi-même", disait Socrate. Aime-toi toi-même, serais-je tenté de lui répondre. Quand Jésus disait qu'il fallait aimer
son prochain comme soi-même, il sous-entendait par là qu'on ne peut aimer les autres sans s'aimer soi-même en premier lieu. Le pervers narcissique est incapable d'aimer les autres, tout
simplement parce qu'il ne s'aime pas lui-même. Il hait donc les autres comme il se hait lui-même. Voilà la vérité du pervers : il veut vous tirer vers le bas en se servant
de votre manque d'assurance et de confiance en vous pour vous entraîner dans son univers de mort, de haine et de folie. Ce vampire est l'une des figures humaines du
mal à l'état pur. N'ayez par conséquent plus peur - plus peur de vous, plus peur de subir son jugement et, surtout, plus peur de lui tourner le dos. Cela le rendra fou
de rage - une perverse narcissique que j'ai connue devint écarlate en me voyant voler à nouveau de mes propres ailes et retourner vers des personnes dont elle avait
tenté de me séparer. La liberté, ce n'est pas quelque chose qu'on demande ou qu'on nous donne. La liberté, ça se prend. Alors, si vous êtes aux prises avec
l'un de ces démons malicieux, libérez-vous. Et ne craignez rien : ils sont malins, vous harcèleront sans relâche une fois séparés de vous et vous feront payer cher
votre outrecuidance (après tout, vous avez osé les démasquer ! Attention toutefois : ne les provoquez pas, car leur réactions peuvent être aussi violentes
qu'inattendues et leur manque total d'empathie n'oppose aucune limite morale à votre anéantissement physique) - mais ce sont avant tout des lâches, qui préféreront
fuir à leur tour plutôt que de se retrouver en pleine lumière et faire ainsi mauvaise figure en apparaissant au grand jour.
Pour finir, voici la liste des trente caractéristiques établies par Isabelle Nazare-Aga pour démasquer un manipulateur relationnel. A partir de quatorze, c'en est un.
A partir de vingt, ce pervers devient dangereux pour votre santé mentale et physique :
1. Culpabilise les autres au nom du lien familial, de l’amitié, de l’amour ou de la conscience professionnelle.
2. Reporte sa responsabilité sur les autres ou se démet des siennes.
3. Ne communique pas clairement ses demandes, ses besoins, ses sentiments et opinions.
4. Répond très souvent de façon floue.
5. Change ses opinions, ses comportements, ses sentiments selon les personnes ou les situations.
6. Invoque des raisons logiques pour déguiser ses demandes.
7. Fait croire aux autres qu’ils doivent être parfaits, qu’ils ne doivent jamais changer d’avis, qu’ils doivent tout savoir et répondre immédiatement aux demandes et questions.
8. Met en doute les qualités, la compétence, la personnalité des autres : il critique sans en avoir l’air, dévalorise et juge.
9. Fait passer ses messages par autrui.
10. Sème la zizanie et crée la suspicion, divise pour mieux régner.
11. Sait se placer en victime pour qu’on le plaigne.
12. Ignore les demandes même s’il dit s’en occuper.
13. Utilise les principes moraux des autres pour assouvir ses besoins.
14. Menace de façon déguisée, ou pratique un chantage ouvert.
15. Change carrément de sujet au cours d’une conversation.
16. Évite ou s’échappe de l’entretien, de la réunion.
17. Mise sur l’ignorance des autres et fait croire en sa supériorité.
18. Ment.
19. Prêche le faux pour savoir le vrai.
20. Est égocentrique.
21. Peut être jaloux.
22. Ne supporte pas la critique et nie les évidences.
23. Ne tient pas compte des droits, des besoins et des désirs des autres.
24. Utilise souvent le dernier moment pour ordonner ou faire agir autrui.
25. Son discours paraît logique ou cohérent alors que ses attitudes répondent au schéma opposé.
26. Flatte pour vous plaire, fait des cadeaux, se met soudain aux petits soins pour vous.
27. Produit un sentiment de malaise ou de non-liberté.
28. Est parfaitement efficace pour atteindre ses propres buts mais aux dépens d’autrui.
29. Nous fait faire des choses que nous n’aurions probablement pas faites de notre propre gré.
30. Fait constamment l’objet des conversations, même lorsqu’il n’est pas là.
En conclusion j'ajouterai simplement que l'attitude des pervers narcissiques reste toujours la même, que ce soit en milieu professionnel ou familial, ou bien au sein d'une "amitié" :
le pervers semble vouloir prendre votre place, vous effacer et vous écraser, exiger toujours plus de vous sans jamais rien vous donner en retour ou presque et vous fait en permanence
sentir, de manière insidieuse, combien vous lui êtes inférieur en tout. Fait étrange, tous ceux que j'ai connus avaient un problème avec les chats, soit qu'ils leur
fussent allergiques, soit qu'ils les fissent fuir ou feuler. Est-ce un hasard ? Quoi qu'il en soit, n'hésitez pas à vous documenter davantage si vous vous sentez concerné,
si l'un de vos proches semble avoir été vampirisé par un manipulateur ou bien encore si - c'est possible - vous vous êtes reconnu dans cet article. D'ailleurs, cet article,
partagez-le, faites-le lire à vos amis et votre famille. Vous sauverez peut-être des vies.
Mercredi 15 juin 2016. E.B.
Sources :
- NAZARE-AGA Isabelle, Les Manipulateurs sont parmi nous, Montréal, Les Editions de l'Homme, 2013.
- Une psy à la maison, chaîne Youtube d'une psychologue spécialiste de la question des pervers
narcissiques et des surdoués.
- La chaîne Youtube de Sam Vaknin, psychologue et professeur de psychologie israélien spécialiste de la question
des pervers narcissiques et des psychopathes. Lui-même est un pervers narcissique "reconverti", ce qui prouve que cette psychopathologie est plus ou moins curable (ou plutôt
que les pervers narcissiques peuvent apprendre à se canalyser et maîtriser un tant soit peu leur trouble de la personnalité), bien qu'il soit
rare que les manipulateurs relationnels aillent se faire soigner et que Sam Vaknin lui-même ait mis du temps à accepter le diagnostic proposé...
- Certaines pages, très instructives, du site www.decision-making-confidence.com/, dédiées aux sociopathes et aux psychopathes, une belle et grande famille dont font indéniablement partie les pervers narcissiques.
- Ma propre expérience avec plusieurs pervers narcissiques (que j'ai fini par démasquer, parfois à mes dépens), dont un que j'ai pu observer de près sans avoir à en
subir les conséquences.
Deux films à voir absolument :
- Respire (2014, de Mélanie Laurent, sur le harcèlement scolaire)
- Mon roi (2015, de Maïwenn, avec Vincent Cassel, parfait dans le rôle du pervers)
Sans compter toutes les autres productions dans lesquelles on retrouve ce type de personnage : Sexe Intentions (1999, de Roger Kumble,
une adaptation moderne des Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos),
Anything Else (2003, de Woody Allen, où Christina Ricci campe une petite princesse insupportable et délicieusement détestable),
Wolf (1994, de Mike Nichols, où Jack Nicholson affronte, au sein de la maison d'édition pour laquelle il travaille,
un jeune loup sans scrupules, ambitieux et prêt à tout pour prendre sa place, y compris forniquer avec sa femme), etc.
Dimanche 22 mai 2016. E.B.
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