Fréquence : 102.2.
« ...et une dépêche informatique nous apprend que la grève du personnel hospitalier, des routiers, des professeurs, des étudiants, des postiers, des programmateurs, des éboueurs et des bergers sera maintenue pour la journée, au grand dam des usagers, exaspérés, le syndicat CFODTKRLMRX n'ayant pas encore obtenu gain de cause et le gouvernement refusant de son côté de se plier aux exigences de Pierre-Yves De Labuse, qui réclame des salaires minimums plus élevés pour l'ensemble des employés dans les secteurs public et privé, ainsi qu'un renforcement des conditions d'embauche au profit des demandeurs d'emploi pour plus de sécurité, accompagné d'une réduction du temps de travail, de quinze à dix heures par semaine pour l'ensemble de la masse salariale. Pierre-Yves De Labuse disait ce matin encore qu'il était pour lui hors de question de négocier, ni avec le gouvernement, ni avec les entreprises, et, face aux attaques de ses adversaires, maintient que son action n'a rien de politique, en dépit de l'offre qui lui a été faite hier par la secrétaire du parti socialiste, Madeleine Du Castel.
– Il est absolument inadmissible, je répète, inadmissible que les employés soient traités de la sorte, sous-payés et travaillant à des heures indues, parfois jusqu'en milieu d'après-midi. La France est le seul pays d'Europe à pratiquer à l'heure actuelle une telle politique sociale, à mépriser les travailleurs de façon aussi flagrante, à maintenir les quinze heures par semaine sans considération pour ceux qui ont des enfants à charge ou qui pratiquent régulièrement une activité sportive. Hier encore, je discutais avec un web designer philatéliste qui me disait qu'il ne trouvait plus le temps de parcourir les catalogues de timbres et ne pouvait qu'occasionnellement investir dans une collection particulière en raison de la baisse considérable du pouvoir d'achat.
– Le Premier ministre, quant à lui, s'est déclaré prêt à négocier avec le président du syndicat CFODTKRLMRX, tout en réaffirmant qu'il était impensable de céder sur tous les terrains, car le coût d'une telle réforme serait selon lui trop élevé.
– Je veux bien négocier, mais il faut savoir être raisonnable : ce que demande M. De Labuse coûterait bien trop cher à la France. J'entends bien la souffrance du peuple français, qui n'en peut plus de travailler autant pour des salaires de misère, mais je puis assurer mes concitoyens que le gouvernement travaille activement à une réforme qui sera, sur le long terme, bénéfique à l'ensemble de la population et permettra de redresser radicalement l'économie, d'autant plus que j'ai bon espoir que nos colonies martiennes et vénusiennes rapporteront bientôt beaucoup d'argent aux entreprises françaises qui ont investi il y a près de vingt ans dans la colonisation des planètes telluriques.
– La Présidente de la République, la centriste Aline Renarde, quant à elle, préfère pour l'instant ne pas se prononcer, déclare qu'elle comprend tout à fait les arguments des uns et des autres et ne doute pas un instant qu'on parvienne à trouver en fin de compte un accord qui satisfasse les deux parties... »
Iphigénie coupa la chaîne.
Dehors il faisait froid, c'était l'hiver. Des enfants jouaient dans la rue qui se lançaient des boules de neige, et des passants les tançaient gentiment comme ils traversaient la pluie de projectiles duveteux. Il était grand temps. Âgée de cent soixante-cinq ans, Iphigénie n'en paraissait pas trente, était encore pleine d'une énergie sans limite et respirait la santé, mais le goût de la vie l'avait abandonnée depuis longtemps dans la ténèbre du désespoir, l'effroi de l'infini. Lorsque dehors les enfants la virent pendant au bout d'une corde, ces derniers marquèrent une courte pause, observant la créature génétiquement modifiée se balancer comme un pendule au bout de sa tige, puis reprirent leur petite guerre froide comme si de rien n'était.
Jeudi 15 janvier 2009. Erwan Bracchi.
Werna 2009-2023