Accueil

Dilbert 2.0 : 20 Years of Dilbert


Dilbert 2.0 : 20 Years of Dilbert Année de publication : 2008

Créateur : Scott Adams

Dilbert, petit employé de bureau d'une grande entreprise, inventeur à ses heures perdues et célibataire malgré lui, se trouve être également le personnage principal d'une série de strips créée par Scott Adams, lui-même ancien employé de bureau reconverti dans l'art de la satire, et qui depuis déjà plus de vingt ans nous montre l'envers du décor du monde de l'entreprise. Accompagné de Dogbert, son cynique de chien (l'étymologie même du mot chien nous renvoyant, soit dit en passant, directement au cynisme par le truchement du latin "cynicus"), Dilbert découvre donc à son insu, jour après jour, l'enfer des bureaux compartimentés (dits "cubicules", du latin cubiculum (chambre) ou de l'anglais cubicle), l'infaisabilité systématique des projets qu'il se voit confier, le manque incessant de budget dont pâtissent ces mêmes projets, l'intrinsèque inutilité de trop nombreuses réunions, l'accumulation sans fin des démarches administratives, l'inexpugnable ineptie de son supérieur hiérarchique aux cheveux en pointe, le machiavélisme de Catbert, le directeur des ressources humaines, l'incommensurable fainéantise de Wally, son collègue portant lunettes, l'hystérie d'Alice, une travailleuse acharnée qu'il vaut mieux ne pas trop chercher, l'immense infortune d'Asok, un stagiaire indien qu'un Q.I. surélevé ne protège en rien de son inexpérience et des mauvais coups du reste de l'équipe, et, last but not least, la bêtise brute de Bob, le dinosaure.

Dans Dilbert 2.0 : 20 Years of Dilbert, le lecteur aura plaisir à retrouver les personnages tout aussi caricaturaux que stéréotypés de Scott Adams dans un univers qui n'a pas toujours été celui de l'entreprise et des bureaux cloisonnés. Vingt ans séparent les premiers strips de cet énorme et magnifique pavé des derniers, publiés en 2008, avec pour conséquence une évolution graphique plus que perceptible, le trait de l'auteur s'améliorant case après case jusqu'à l'acquisition d'une précision que l'on pourrait aisément qualifier d'industrielle (cet adjectif n'ayant ici rien de péjoratif), un humour de plus en plus corrosif, qui éliminera progressivement les multiples calembours des débuts (difficiles à traduire et, par conséquent, de l'aveu même de Scott Adams, peu commercialisables à travers le monde), au profit d'un comique de situation répétitif, mais souvent hilarant, de problèmes dont la solution s'avère totalement inattendue (la surprise étant l'un des principaux ressorts de l'humour) et, surtout, d'une satire par l'absurde aux effets ravageurs - l'auteur manqua d'ailleurs y laisser son emploi d'alors...

Strip type de Dilbert


Quant à l'auteur de ces lignes, c'est avant tout par curiosité qu'il parcourut d'un bout à l'autre cet ouvrage imposant, le souvenir de la courte série télévisée sobrement intitulée Dilbert et diffusée sur Canal+ au début des années 2000 (époque à laquelle, au passage, la chaîne possédait encore quelque intérêt pour ses spectateurs cinéphiles), lui ayant donné l'envie, quelques années plus tard (une dizaine, à vrai dire), d'en savoir plus. Et la surprise fut de taille, tant la qualité des strips surpasse celle de la série qui en fut tirée : avec un peu plus de 6500 comic strips, soit près de 6500 scènes de bureau dessinées et redessinées encore et encore, peu ou prou chaque fois de la même manière, Scott Adams parvient à tenir son lecteur en haleine des heures et des heures durant, ce malgré l'extrême simplicité de l'ensemble des dessins. Tout vient, en réalité, de l'écriture à proprement parler de son oeuvre : chaque mot est minutieusement choisi, chaque phrase, méticuleusement travaillée, chaque chute (lorsque chute il y a), savamment orchestrée. Et s'il arrive que certaines blagues tombent à plat, le lecteur pardonnera sans mal, la forme même des strips (généralement sur trois cases) rendant leur lecture extrêmement rapide. Or, comme on dit, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures.

L'autre intérêt de cette compilation, outre le DVD fourni en sus du livre et sur lequel figure un nombre tout aussi impressionnant de strips, réside dans les commentaires de l'auteur. En effet, ce dernier nous entretient de la manière dont il a commencé le dessin, des premiers pas de Dilbert, des encouragements qu'il reçut de la part d'une personnalité célèbre, des lettres de refus des éditeurs, de la réception de Dilbert au sein de son entreprise, de ses premières publications, de l'élaboration progressive d'un strip "type" à partir de thèmes et de personnages récurrents - personnages dont même les noms changeaient de temps à autre au départ -, de la censure dont firent plusieurs fois l'objet ses créations, de sa manière d'envisager l'humour et de critiquer le monde de l'entreprise, tout en reconnaissant d'autre part qu'il est devenu lui-même une sorte d'auto-entrepreneur dont le but est, in fine, de vendre son oeuvre au plus grand nombre possible afin d'engranger un maximum de bénéfices, même s'il doit pour cela remplir un cahier des charges parfois contraignant. De l'artiste à l'artisan commerçant, il n'y a donc qu'un pas, ce qui n'enlève rien à la valeur de sa satire, dont la portée dépasse largement le cadre de l'entreprise, sans mauvais jeu de mots.

Pour conclure, vous l'aurez compris, la lecture des 576 pages de Dilbert 2.0 : 20 Years of Dilbert, ou même, à défaut, du site officiel de Dilbert, en dépit de ce que cette dernière nécessite une assez bonne connaissance de l'anglais (mais après tout, n'est-ce pas là l'occasion d'apprendre et de pratiquer un peu cette langue sublime ?) vous est chaudement recommandée par l'auteur de ces lignes, qui poussa le vice jusqu'à rendre hommage à ce petit trésor du strip américain dans ses Histoires cochonnes. A lire absolument, donc !

Note : 8/10

Histoire cochonne 27



Werna 2009-2023