Année : 2008
Titre original : Cloverfield
Réalisateur : Matt Reeves
Une fête est organisée dans un appartement new-yorkais pour le moins spacieux à l'occasion
du départ d'un certain Rob, archétype du jeune cadre dynamique, qui vient de trouver du travail
au Japon. Las, les festivités ne durent pas longtemps : une série d'explosions plonge la ville
dans le noir et la panique, forçant Rob et ses amis - dont un cameraman amateur, Hud -
à s'enfuir au plus vite. Après avoir découvert
que la menace est tout aussi gênante et géante que vivante, et sur le point d'échapper au pire, la petite équipe
fait halte, puis demi-tour, à l'initiative de Rob, bien décidé à revenir sur ses pas afin de sauver Beth,
sa belle, des griffes de la bête.
En 2008, Cloverfield, soixante-quinze ans après la sortie de
King Kong (1933) aux Etats-Unis, ressuscite le film de monstres en lui donnant une forme nouvelle.
En effet, ce n'est bien sûr pas l'histoire, dont
le propos rappelle étrangement King Kong et Super Mario Bros (il s'agissait, dans le chef-d'oeuvre vidéoludique de Nintendo, de délivrer la princesse
Peach d'un monstre dénommé Bowser), qui fait ici
toute la force (ou la faiblesse, selon certains) de cette réalisation, mais bien plutôt le recours au point de vue subjectif, qu'une astuce
scénaristique rend systématique : par le truchement de Hud, à l'origine chargé de filmer la fête organisée par les amis de
Rob, la caméra devient un personnage à part entière, et le spectateur n'aura donc accès, pendant plus d'une heure et demie,
qu'aux images tournées par Hud avec
son appareil numérique au cours de cette nuit cauchemardesque.
Menace omniprésente et polymorphe (la créature est un mélange
de King Kong, de Godzilla et d'alien (la progéniture du monstre ressemble à s'y méprendre aux
créatures mortelles et morbides auxquelles les aliens donnent naissance dans le corps de leurs hôtes)), populace affolée,
immeubles qui s'écroulent, hélicoptères qui s'écrasent, victimes qui s'écrient "Oh my God !", vision d'apocalypse filmée par un
amateur manifestement atteint de la maladie de Parkinson, tout semble ici participer d'une représentation fantasmée des attentats du onze septembre deux mille un, ce qu'une
remarque faite par un figurant au tout début du film - "It's a terrorist attack !" - ne fait que confirmer. La vue subjective
n'est donc ici pas qu'une simple réappropriation d'une technique déjà utilisée dans Le Projet Blair Witch (1999) et dans l'oeuvre
dérangeante que ce dernier plagie de façon éhontée, j'ai nommé Cannibal Holocaust (1980), de Ruggero Deodato, dans
lequel une équipe de journalistes peu scrupuleux profite de la faiblesse d'un peuple cannibale d'Amazonie pour tourner
un "documenteur" sur le cannibalisme et la "monstruosité" des peuples qui le pratiquent.
Malheureusement, et c'est là que le bât blesse, dans Cloverfield, c'est un cameraman
amateur, et non un journaliste, comme c'est le cas dans Cannibal Holocaust, l'excellent Diary of
the Dead (2008), de George A. Romero, et le non moins excellent Rec (2007),
qui filme l'action. Pour le spectateur, le résultat, réalisme oblige,
est désastreux. Les plans tremblent, les images demeurent la plupart du temps illisibles (ce qui fait sens, cependant, puisque les protagonistes font face
à l'inconnu, la peur et la mort), la bande sonore est constituée presque exclusivement de hurlements et de dialogues insipides
("Oh my God", "Jesus", voilà des répliques que l'on n'est pas près d'oublier), le tout sur fond de tirs à la mitraillette, de bombardements incessants
et de conflagrations multiples, sans aucune musique (point positif, puisque la tension s'en trouve grandement renforcée). Et le spectateur
de se vomir littéralement dessus. Non pas en raison de la peur qu'il éprouve en présence de la bête, loin s'en faut (les rares moments où l'on
entraperçoit la bête provoquent irrémédiablement l'hilarité), mais bien plutôt parce qu'il
a tout simplement mal aux yeux. Et dans une oeuvre qui pose ouvertement la question du regard, voilà qui semble pour le moins ironique.
En conclusion, la réalisation de Matt Reeves, en dépit de très bonnes idées, du souffle nouveau qu'elle apporte au genre et de
la réflexion qu'elle introduit sur la façon dont les catastrophes peuvent être perçues par la population sans que
s'interpose le regard médiatique - et donc la représentation des événements, c'est-à-dire leur remaniement sous forme de fiction (c'est d'ailleurs
là le paradoxe du film, censé nous présenter un témoignage authentique au sujet d'une histoire fictive) -, la réalisation de Matt Reeves,
dis-je, souffre de ses qualités et s'engouffre dans un cinéma qui tient finalement plus de l'attraction touristique (on pense
au fameux train des frères Lumière, mais également aux premiers films gore d'Hershell Gordon Lewis) que du regard critique
sur le monde dans lequel nous vivons, que certains cinéastes s'évertuent à nous proposer depuis que le cinéma existe - on peut néanmoins
rappeler que le réalisateur nous présente ici la vision d'un monde qui ne vit plus que dans et de sa propre représentation, aussi immédiate
soit-elle, puisque tout ce qui arrive est aussitôt mis en images, un filtre, que dis-je, un film, étant de la sorte constamment placé entre
nous et le monde réel.
Cloverfield est donc bon pour ce qu'il est, soit un divertissement intelligent qui a le mérite
de prendre des risques sur le plan formel, avec, en prime, accompagnant le générique de fin, une fort belle composition, qui,
en quelques notes et quelques minutes, résume l'ensemble du film - en somme, une musique qui secoue sans saccades.
Note : 7/10
Werna 2009-2023