Année : 2001
Titre original : The Lord of the Rings: The Fellowship of the Ring
Réalisateur : Peter Jackson
Nous sommes dans la Comté. Le jour de ses cent-onze ans, Bilbo Sacquet, un hobbit tout aussi valeureux que facétieux,
disparaît au beau milieu de son discours sous l'oeil ébahi de ses nombreux convives
et celui, plus sage et surtout plus avisé, du magicien Gandalf le Gris. De retour chez lui, notre vieux héros,
non sans mal et l'aide pour le moins coercitive de son ami Gandalf, entend laisser à l'intention de son neveu
préféré, Frodo, son anneau magique, celui-là même qui lui sauva la vie face à Gollum, autrefois, et le rendit
invisible quelques instants plus tôt, dans une enveloppe cachetée sur le montant de la cheminée. Las, esclave
de cet anneau d'or, il finit par s'en délester sur le pas de la porte, à contrecoeur, s'en libérant ainsi par un dernier effort
de la volonté.
Désormais, le fardeau de l'anneau repose donc sur les frêles épaules
de Frodo Sacquet, qui s'en ira détruire, accompagné de Sam Gamegie, son fidèle compagnon, de Peregrïn Touque et de Meriadoc Brandebouc,
deux gentils hobbits désireux de partir à ses côtés, son pesant héritage au coeur de la Montagne du Destin,
dans les flammes du terrible volcan qui vit en des temps reculés naître l'anneau
unique tant recherché par le maléfique Sauron.
C'est le début d'une grande et longue aventure, où se pourront croiser orques, elfes et nains dans un déluge de magie, de combats épiques
et d'images enchanteresses.
S'il est un film qui marqua les années deux mille de son empreinte indélébile,
tant par sa qualité que par sa démesure, c'est bien, vous l'aurez compris, la trilogie
du Seigneur des anneaux de Peter Jackson, dont le premier opus,
long de plus de trois heures et demie dans sa version longue, fait ici
l'objet de notre critique. Adapter l'oeuvre monumentale de J.R.R. Tolkien, l'un des livres,
il faut le rappeler, les plus lus au monde après la Bible, relevait
de la gageure, et force est de constater, dès le premier des trois films, que le réalisateur néo-zélandais s'en est tiré avec les honneurs,
signant là l'une de ses meilleures réalisations et probablement l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de l'histoire du cinéma.
C'est simple, à le voir,
on se rend bien compte que nul autre que lui n'aurait pu le faire aussi bien. Nous allons donc analyser,
au cours des lignes qui suivent, la manière dont Peter Jackson s'est réapproprié la première partie
du roman pour en faire une introduction brillante à l'univers de Tolkien, en tirer
une création visuelle à part entière tout en y intégrant ses propres obsessions.
Pour commencer, il faut dire ici que, s'il s'est permis de prendre quelques libertés
avec, notamment, la chronologie de l'oeuvre originelle, des événements de plus ou moins grande importance et la présence (ou non)
de certains personnages (quelques-uns regretteront sûrement l'absence de Tom Bombadil),
Peter Jackson n'en est pas moins resté fidèle à l'extrême aux écrits de
Tolkien, ne s'en écartant que par pur souci de lui donner enfin son parfait équivalent en termes de langage cinématographique. En effet,
si le simple fait de tourner un plan, de filmer un détail (les pieds poilus des hobbits, Gandalf fumant sa pipe) ou de glisser
une ou deux précisions dans les dialogues,
permet d'éviter un grand nombre de descriptions fastidieuses, c'est avant tout par un montage astucieux que le réalisateur entend
faire de son film une introduction captivante pour le spectateur, en anticipant, par exemple, la rencontre de Gandalf et de Saroumane,
afin de créer un suspense d'une nature tout à fait différente de celle du livre, puisque c'est, dans ce dernier, l'absence inexplicable de Gandalf
seule qui tient le lecteur en haleine, tandis qu'on donne ici au public une avance considérable sur les protagonistes, sans pour autant
lui dire tout de cette rencontre, tant et si bien qu'on ne se demande plus où est le magicien, mais s'il est encore vivant.
Cette efficacité structurelle n'a d'égale que la remarquable beauté de l'ensemble. En effet, ce qui, si je puis dire, saute aux yeux la première
fois que l'on regarde La Communauté de l'anneau, c'est son aspect pictural : à l'instar
du défunt Stanley Kubrick (comment ne pas penser à lui en voyant cela ?), Peter Jackson fait en sorte que
chaque plan ressemble à un tableau de maître, si bien qu'une grande harmonie règne entre des décors somptueux, qu'ils soient factices ou
réels, des couleurs presque surnaturelles, même lorsqu'elles sont naturelles, et des cadrages merveilleusement bien choisis.
De la sorte, il semblerait qu'on retrouve visuellement la prose élégante et raffinée du conteur anglais, l'ambiance féérique, voire poétique,
de son oeuvre, sa langue, son rythme, son esthétique particulière. On verra donc des humains, des hobbits et des elfes marcher ou, le plus,
souvent, courir à travers de vastes étendues, fouler l'herbe des plaines, longer des chemins rocailleux ou bien encore franchir d'immenses
montagnes recouvertes d'un épais manteau de neige, bercés par la musique solennelle, envoûtante et majestueuse d'Howard Shore, qui nous
emporte au loin sur les Terres du Milieu, dans un autre univers, où s'opposent, comme c'est également le cas dans le cinéma de
James Cameron, le bien et le mal, l'eau et le feu, le blanc et le noir,
l'homme et la machine, aussi rudimentaire soit-elle, encore que la fournaise où sont génétiquement modifiés les orques pour en faire des Uruk-hai ressemble à s'y méprendre à une usine métallurgique. Forgés dans la fange et dans
le feu, ces derniers
ne sont d'ailleurs pas sans rappeler les précédentes créatures et créations de Peter Jackson, ce qui nous amène
à la dernière partie de cette courte analyse.
Pour ceux qui connaissent les précédentes productions du maître, et surtout qui les connaissaient avant de voir
La Communauté de l'anneau, se pose et se posait une question relativement
inquiétante : comment passe-t-on de Bad Taste, Meet the Feebles
et Braindead, avec leurs plans faits à la main, leurs effusions de sang, leurs scènes grotesques et leurs
personnages plus improbables
les uns que les autres, au Seigneur des anneaux ? Eh bien, semble nous répondre Peter Jackson,
tout simplement en changeant radicalement de style, tout en conservant un certain nombre d'obsessions, sur le plan visuel en particulier.
Tout d'abord, certains gros plans sur les visages nous rappellent sans mal, par leur insistance sur des détails grossis et grossiers,
à la limite de l'obscène,
ceux de ses précédentes productions : que ce soit dans Braindead ou dans La Communauté de l'anneau,
le réalisateur aime à nous imposer des visions de monstruosités vues de près, de plis de peau, d'expressions grimaçantes et de faciès hilarants.
Ensuite, le spectateur averti n'éprouvera pas la moindre difficulté à reconnaître, dans la noirceur des cavaliers Nazgûl, la forme générale
que revêt la mort dans Fantômes contre fantômes (1996) - personnage qui permit, soit dit en passant, au réalisateur de faire
à l'époque accepter aux producteurs son projet pour le moins coûteux. Enfin, s'il est un point commun à toutes les oeuvres de
Peter Jackson, ce sont les effets spéciaux, toujours omniprésents, toujours utilisés de manière
intelligente, toujours extrêmement visibles, ne serait-ce qu'en raison du propos même de ses films, qui baignent pour une grande majorité
dans une atmosphère fantastique, irréelle, impossible - c'est-à-dire fictive. Au fond, depuis ses débuts, Peter Jackson
prend un malin plaisir à nous rappeler que tout ça, c'est du cinéma, rien de plus, rien de moins.
Il y aurait bien sûr encore beaucoup à dire sur le sujet, mais le temps est venu pour l'auteur de ces lignes de conclure. Avec ses images
sublimes, ses personnages tous plus caricaturaux et charismatiques les uns que les autres (Gandalf, Gollum, Gimli), tous dotés de répliques cultes qui
contribuent à nous les rendre sympathiques et interprétés de manière magistrale
par des acteurs alors au mieux de leur forme (dont le très grand Christopher Lee), ses musiques entêtantes (peut-être pas aussi marquantes qu'elles
n'eussent dû l'être, mais peu importe puisqu'elles font leur petit effet), son scénario tout à la fois riche, complexe et prenant (et pour cause, l'histoire nous vient directement
du récit de John Ronald Reuel Tolkien), son montage lent, mais extrêmement efficace, et son atmosphère onirique, La Communauté de l'anneau,
premier volet d'une trilogie dont il
ne constitue, somme toute, que l'introduction, se hisse sans mal au sommet de l'art cinématographique
et nous emporte en l'espace de quelques heures jusque dans les lointaines
contrées de l'imaginaire et du rêve, en un pays dont on aimerait ne jamais revenir et dont on ne revient, finalement, toujours pas.
Note : 10/10
Werna 2009-2023