Année : 1996
Titre original : Independence Day
Réalisateur : Roland Emmerich
Le 2 juillet, des objets volants non identifiés sont repérés dans l'espace, à une distance égale à celle de la Lune,
par les radars américains du S.E.T.I. (Search for Extra-Terrestrial Intelligence),
au Nouveau-Mexique. Leur trajectoire : la Terre.
Evidemment. Après avoir cru qu'il ne s'agissait là que de simples météores, on s'aperçoit bien vite que ces formes massives
sont en réalité d'immenses vaisseaux
spatiaux venus des confins de l'univers. Il faudra l'intervention d'un ingénieur du câble juif
d'une intelligence supérieure (Jeff Goldblum, alias David Levinson) et quelques morts inutiles pour comprendre que ces
extraterrestres belliqueux ne sont pas venus nous apporter la bonne parole, loin s'en faut.
On s'engage alors aussitôt dans une lutte implacable, après la destruction
par les envahisseurs d'un grand nombre de points stratégiques partout autour du globe terrestre, dont la Maison Blanche.
Fort heureusement, le Président des Etats-Unis d'Amérique (Bill Pullman)
a survécu, qui va pouvoir coordonner les attaques (n'oublions tout de même pas que le président américain est également le commandant en chef
des armées), découvrant par la même occasion le secret de la légendaire zone 51, l'incompétence de son ministre de la Défense
et l'incroyable sens du sacrifice de ses cons patriotes.
Ce sont finalement les destins croisés du président et de sa famille, de David Levinson et de son père, d'un commandant noir de l'armée
(Will Smith, alias Steven Hiller) et d'un bouseux alcoolique (Randy Quaid, alias Russell Casse) méprisé par son fils, qui permettront au monde
de venir à bout de ces barbares cosmiques.
Comme on peut aisément s'en rendre compte à la lecture des lignes qui précèdent, Independence Day
est loin de se démarquer par son originalité scénaristique, son audace philosophique ou bien encore la finesse de son propos.
En effet, le film de Roland Emmerich se présente avant tout comme une série B fort bien produite et réalisée, soutenue par
d'excellents acteurs et dotée d'effets spéciaux pour le moins convaincants, même à l'aune des standards actuels. Nous allons voir, au cours
des paragraphes qui suivent, que sous cette apparente simplicité se cache, en sus d'une véritable campagne de propagande pro-américaine
doublée d'une publicité pour l'armée de métier (ce qui relève de l'évidence), une amusante déclaration d'amour au cinéma bis agrémentée
d'un certain sens de l'autodérision.
Mais commençons donc par le commencement, c'est-à-dire par ce qui saute aux yeux du spectateur averti dès les toutes premières minutes
de ce blockbuster international : Independence Day se veut, comme son nom l'indique, le film
américain par excellence, n'hésitant pas à faire l'éloge des institutions de l'Oncle Sam, et tout particulièrement de son peuple,
de son pouvoir et de son armée. C'est la raison pour laquelle l'un des principaux protagonistes (pour ne pas dire héros) de cette production
se trouve être le président lui-même, qui sauvera le monde à l'aide d'un scientifique (devenu par hasard ingénieur du câble malgré sa formation,
c'est-à-dire un citoyen moyen modèle parmi tant d'autres, en qui sommeillent, bien entendu, d'incroyables talents cachés), d'un militaire
de carrière fidèle à sa patrie, sa femme et ses supérieurs,
et d'un ivrogne pouilleux dont l'unique désir est de se racheter aux yeux de son fils par le sacrifice de sa propre vie pour la nation.
Tous mariés ou pères de famille, cela va sans dire. Et ce n'est pas un hasard si les clichés s'accumulent et si l'interprétation des différents
personnages est volontiers caricaturale : c'est que chacun tient lieu de métonymie, se substituant ainsi,
par une simplification nécessaire, à la classe
d'individus qu'il ou elle représente, afin que le public puisse retrouver ici la société américaine dans sa diversité - des Blancs, des Noirs,
des Chrétiens, des Juifs, des riches, des pauvres et des femmes (considérées aux Etats-Unis comme une "minorité"), sous forme d'échantillon.
Un message bien démagogique s'il en est. Plus inquiétante est cependant l'apparente équivalence qu'établit la rhétorique particulière du film
entre les Etats-Unis et le monde,
symbolisée par un
discours tout aussi épique que ridicule du président, dans lequel ce dernier déclare que le 4 juillet deviendra le jour, non plus de l'indépendance
des Etats-Unis d'Amérique, mais de celle du monde entier - si l'air de la chanson Amerika de Rammstein vous revient à ce point précis de
notre analyse, ne vous inquiétez pas, c'est tout à fait normal. L'Amérique rappelle ainsi à son empire qu'elle se considère
encore comme la police du monde, une position
que les événements du 11 septembre 2001 lui permirent plus tard de renforcer. Ironiquement, les attentats prirent la forme de détournements d'avions
lancés sur des bâtiments stratégiques, mais surtout symboliques, tandis que le film de Roland Emmerich, dans lequel les extraterrestres entendent, peu
ou prou, accomplir un acte similaire à plus grande échelle,
fait d'un homme venu de nulle part se jetant avec son F-18 sur l'une des soucoupes volantes à la manière d'un kamikaze,
la fierté de la nation...
D'un point de vue plus américain, Independence Day promet et promeut,
comme dit plus haut, la paix de l'âme par l'engagement volontaire dans l'armée de métier, c'est-à-dire au service de la nation.
Cette scène où Russell Casse, après avoir une dernière fois regardé la photo de famille qu'il a prise avec lui,
se jette littéralement dans la gueule du loup (le rayon laser) afin de terrasser l'ennemi tout en sacrifiant sa
propre existence, nous est présentée, grâce à la musique, au montage ainsi qu'à quelques plans bien choisis (close-up sur
le visage du paysan cependant qu'il prend une décision difficile, reaction shots de sa famille alors qu'il leur fait ses
adieux), comme un sommet d'héroïsme et de bravoure : il n'est pas de plus belle mort au monde que de mourir pour son pays.
Mais pourquoi, plus généralement, s'engager de la sorte ? Roland Emmerich nous donne la réponse en ayant recours à l'un des
plus grands fantasmes de l'Amérique moderne : l'invasion du territoire par une force extérieure surgie de nulle part et de partout à la fois.
La menace permanente d'une attaque possible - possible notamment depuis la chute de l'URSS, remplacée depuis par des terroristes par nature
apatrides. Autrement dit, la peur. La peur de l'inconnu.
La peur collective de la mort, sans laquelle le sacrifice individuel n'aurait aucun sens (que l'on se rappelle ici
le sketch des Inconnus intitulé Jésus II, le retour, dans lequel il est dit, à propos du Christ : "Pour vivre, il doit mourir.").
Le choix d'une tentative de colonisation par des êtres venus d'ailleurs comme thème principal du film n'a donc rien d'anodin, pas plus
que la campagne de recrutement sur laquelle s'attarde le réalisateur au cours de son oeuvre, et qui n'est pas sans rappeler les campagnes
du même type qui ont suivi les attentats du 11 septembre au cours des années Bush. A titre indicatif, l'armée américaine envisageait au départ
d'apporter son aide dans la réalisation de ce long métrage en fournissant conseils, matériel et décors, avant de se retirer du projet
pour une raison somme toute éloquente : Roland Emmerich refusait d'ôter toute référence à la zone 51 de son film...
Et c'est là qu'enfin cette superproduction trouve tout son intérêt : les références multiples à la mythologie des OVNIs et des complots,
elles-mêmes accompagnées de nombreux clins d'oeil à la littérature et au cinéma d'anticipation. Le tout contribue non seulement à rendre
hommage au genre, mais également à décrédibiliser, dans une certaine mesure, le sérieux et le politiquement abject de l'ensemble en en
soulignant le caractère fictif. La zone 51, c'est bien sûr Roswell et les événements survenus au Nouveau-Mexique en 1947 - les responsables
des effets spéciaux ont d'ailleurs poussé le vice jusqu'à donner à leurs créatures une apparence significativement proche des gris -,
tandis que l'ignorance absolue
du président sur toute cette affaire nous renvoie directement aux diverses théories du complot dont les Américains (ainsi qu'une
grande partie des
internautes aujourd'hui) se montrent habituellement si friands. Mais Roland Emmerich ne s'arrête pas à ces lieux communs, qui leur préfère
quelques citations cinématograhiques et littéraires plus ou moins flagrantes : les extraterrestres portent des combinaisons anthropomorphes
avec, en manière de chevelure, des dreadlocks qui ne sont pas sans rappeler la créature charismatique combattue par Arnold Schwarzenegger dans
Predator (1987, John McTiernan) ; par ailleurs, ce système de poupées russes (un extraterrestre miniature à l'intérieur d'un costume
biomécanique) suggère sans mal le monstre d'Alien, le huitième passager (Ridley Scott) ; le propos du film,
quant à lui, n'est autre que celui, remanié, de La Guerre des mondes (1898), d'H.G. Wells, une histoire reprise en cette même année 1996
par Tim Burton dans l'excellent Mars Attacks, qui s'avère être aux antipodes, dans le fond comme dans la forme,
d'Independence Day ; enfin, le réalisateur se permet une petite touche d'humour en glissant sur
un écran de télévision quelques images du Jour où la Terre s'arrêta (1951, Robert Wise), dans lequel un être venu de l'espace
tente de sauver l'humanité d'elle-même en la mettant en garde contre sa propre puissance - nucléaire -, ce même pouvoir destructeur qui
permet au président de sauver le monde dans l'oeuvre qui nous intéresse ici...
Par ces renvois constants au genre dans lequel il s'inscrit, mais également par l'aspect caricatural de ses personnages et l'absurdité
de son scénario, l'oeuvre de Roland Emmerich, servie sur le plan visuel en ce sens
par la qualité de ses plans et, surtout, de ses effets spéciaux, se donne ouvertement pour ce qu'elle est, soit un spectacle agréable et
prenant, mêlant
film catastrophe et cinéma bis pour le plus grand plaisir de spectateurs désireux de s'oublier un peu le temps d'une séance,
dans la chaleur et l'obscurité moite d'une salle de projection. Et si les personnages vivent un véritable cauchemar, c'est du rêve, en
revanche, que l'on vend au public d'Independence Day. Que demande le peuple ?
Note : 6.5/10
Werna 2009-2023