Année : 1993
Titre original : Mad Dog and Glory
Réalisateur : John McNaughton
Dans la vie, Wayne Dobie, dit Mad Dog, alias Robert De Niro, est fonctionnaire de police.
Pour être plus exact, son métier consiste essentiellement
à photographier des scènes de crime, bien qu'il porte, comme tout policier qui se respecte et se fait respecter, un revolver.
Il ne protège donc
ni la veuve, ni l'orphelin, mais les immortalise une fois morts, et c'est à sa grande surprise qu'un soir, il sauve un
mafioso comique (ou comique mafioso)
d'un jeune meurtrier fort mal intentionné (quelques instants plus tôt, Wayne photographiait ses dernières victimes),
pensant s'en tirer sans avoir à tirer pour voir le délinquant se tirer.
Or il se trouve justement que Wayne, des coups, il n'en tire pas souvent. C'est pourquoi son nouvel ami,
Frank Milo (Bill Murray), lui envoie Glory (Uma Thurman) pour une semaine, afin que cette dernière se charge de le remercier à sa manière,
ne songeant
pas un seul instant que ces deux-là pourraient un jour tomber amoureux l'un de l'autre. Ce qui ne manque pas d'arriver.
C'est alors que les ennuis commencent pour Mad Dog, qui
n'aura finalement pas d'autre choix que de libérer le chien enragé qui sommeille en lui pour tirer Glory. Des griffes de Frank.
Et vivre avec heureux pour le restant de ses jours.
A partir d'un scénario prévisible et simple, dont l'originalité repose essentiellement sur un mélange inattendu de Pretty Woman
et du Parrain, John McNaughton tire une comédie romantique captivante, à laquelle des acteurs utilisés à
contre-emploi (du moins, en apparence)
donnent beaucoup de leur charisme et de leur sympathie, tout en n'oubliant pas d'offrir au spectateur des prestations
dignes de ce nom. L'on n'aura donc aucun mal à se prendre d'affection pour Wayne, flic timide et manquant de confiance en lui,
dont la vie de chien finira par devenir vie de
rêve grâce à Glory, fille timide et manquant de confiance en elle, mais également grâce à ce cher Frank, entremetteur malgré lui,
devenu son meilleur ennemi. Sans oublier le meilleur ami de Wayne, Mike, qui se trouve être son exact opposé.
Le réalisateur s'amuse avec finesse du contraste entre ces différentes personnalités, les faisant se confronter
et s'affronter dans un déluge de dialogues plutôt bien écrits,
ce qui lui permet de muscler par la même occasion nos zygomatiques et de faire évoluer son personnage principal jusqu'au dénouement final, qui
sera pour lui renaissance.
Et c'est là que l'oeuvre de John McNaugton prend tout son intérêt :
comme en témoigne la situation initiale, où l'on nous montre un Wayne célibataire enfermé chez lui
tous les soirs, guettant à sa fenêtre les ébats de sa charmante voisine devant son téléviseur et se contentant de ne voir la réalité que par le
truchement de son objectif - qui ne lui permet, soit dit en passant, que de voir la mort (une fois n'est pas coutume,
il y a d'ailleurs, en anglais, jeu sur les différents sens du mot "shoot", qui peut désigner à la fois le fait de photographier, de filmer ou bien de tirer
sur quelque chose ou quelqu'un) -,
Mad Dog and Glory se donne pour thème central le rôle de la fiction, de ces écrans que nous plaçons
tous chaque jour un peu plus entre nous-mêmes et la réalité, la fiction finissant par se faire frontière entre les êtres. Au début du film,
Wayne Dobie rêve sa vie, mais à force de courage et de persévérance, et surtout par amour, il parvient à donner vie à son rêve, qui prend corps
en la personne de Glory - car après tout, il n'est point de gloire sans courage ("No guts, no glory", comme le dit si joliment
Mike, plus tard
cité par Wayne). Symbole de cette victoire sur lui-même : un plan de demi-ensemble de quelques secondes en plongée, dans lequel Wayne, qui a maintenant
une petite amie (après deux ans d'abstinence), observe une dernière fois la fenêtre d'en face par la sienne (cadre dans le cadre, mise en
abîme et, donc, réflexion dans le miroir cinématographique) et n'y décèle pas le moindre mouvement (ce qui nous renvoie bien sûr
à l'étymologie du mot "cinéma", le mot grec "kinêma" signifiant "mouvement"). La fiction, pour lui, c'est fini. Point
de cliché désormais, si ce n'est pour figer le corps nu de sa dulcinée. Ne lui
reste plus qu'à se battre contre Frank afin que la fiction se résolve en friction.
C'est malheureusement là que la réalisation de McNaughton tombe dans la contradiction : nous sommes, hélas, toujours dans un film.
Le rêve ne se réalise donc que pour ce cher Wayne, et la résignation de Frank, qui décide de ne pas le faire descendre par ses sbires,
n'a bien évidemment rien de réaliste. Et Glory, puisqu'elle porte ce nom, n'est qu'une allégorie. Pire, une allégorie représente en règle générale un concept
abstrait - ici, la gloire -, c'est-à-dire une construction de l'esprit, soit une forme particulière de fiction. Bref,
il n'y a rien de glorieux là-dedans. Certes, on pourrait arguer ici que McNaughton propose, en dépit des apparences, une prise de distance
intéressante vis-à-vis du contenu de son propre film (Wayne devient courageux, parvient à vaincre Frank et
séduit la belle malgré son âge et sa laideur ; cependant, l'exagération, la mise en abîme et l'humour omniprésent nous rappellent qu'il ne s'agit
là que de fiction), mais il n'en demeure pas moins que le réalisateur vend ici, comme c'est le cas dans d'innombrables productions cinématographiques,
du rêve. Qu'y a-t-il de mal à cela ? Bonne question. La réponse : il n'y a rien de mal à cela. C'est en réalité la réception de ce rêve, qui pose
problème, et c'est du point de vue du spectateur que tout se joue. Tout ce que nous voyons, nous l'intégrons. A quoi ? Notre représentation
du monde. Autrement dit, le rêve dans lequel chacun de nous vit au quotidien. L'on me rétorquera qu'il y a une grande différence entre le
rêve et le fantasme. C'est vrai. Néanmoins, bien des fictions filmiques
ne sont souvent qu'une mise en scène de nos fantasmes, rendue plausible par
le réalisme relatif de leur narration (ce n'est peut-être pas sans raison si les films sont réalisés).
Relatif, puisque, paradoxe suprême, une image est bien plus réaliste avec un bon éclairage que sans, ce qui
suppose des choix nécessairement arbitraires et, donc, artificiels.
Cette plausibilité signifie que nous intégrons dans notre représentation du monde, d'une manière ou d'une autre, la possibilité qu'un
tel fantasme se réalise un jour - pour nous. Ce qui ne manquera pas d'engendrer une certaine frustration : la réalité ne correspond jamais exactement à nos
attentes. Et la Mère Noël n'existe pas.
En dépit de cette légère contradiction, Mad Dog and Glory s'avère être un divertissement de qualité :
d'excellents acteurs, une photographie dans l'ensemble très agréable, un montage au rythme parfaitement équilibré, des dialogues bien pensés et
beaucoup d'humour,
tout ici pousse l'auteur de ces lignes à vous recommander ce film sans réserve et conclure sa critique en lui
attribuant une bonne note. N'oubliez cependant pas qu'en ce bas monde, tout n'est pas qu'amour, gloire et beauté. Faites de beaux rêves.
Note : 7.5/10
Werna 2009-2023