Année : 1976
Titre original : Rocky
Réalisateur : John G. Avildsen
Jeune loubard au coeur tendre, Rocky Balboa rêvait autrefois de devenir un grand boxeur mais travaille aujourd'hui pour
un usurier peu fréquentable. Tandis qu'il tente par tous les moyens de séduire Adrian, la soeur un tantinet taciturne de son meilleur ami Paulie,
Rocky est contacté par l'agent d'Apollo Creed, l'actuel champion du monde de boxe catégorie poids lourds, qui souhaiterait
combattre contre lui pour le titre. Conscient qu'il s'agit là d'une chance qui ne se présentera pas deux fois, Rocky se lance
aussitôt dans l'aventure et suit, pendant cinq longues semaines, un entraînement intensif sous l'oeil avisé de son coach Mickey Goldmill.
Son but : à défaut de gagner, tenir quinze rounds contre le champion du monde,
ce qu'aucun autre boxeur n'est jamais parvenu à faire jusque-là. De son
côté, Apollo Creed, qui pense écraser en moins de deux ce vieux boxeur trentenaire sorti de nulle part, est loin de se douter de ce qui
l'attend. Vainqueur aux points, il ne terminera pas indemne ce match interminable et Rocky, vaincu, sortira malgré tout
grandi de cette épreuve.
Ode au rêve américain dont le personnage principal est depuis devenu le symbole d'une Amérique prête à tout pour se hisser au sommet,
Rocky présente au spectateur l'itinéraire d'un homme fictif qui, parti de rien, finira par devenir l'un
des plus grands boxeurs de son temps en se mesurant au champion du monde en personne, un monstre prodigieux dont le nom même est, en anglais,
celui d'un dieu de l'Olympe.
Rocky contre Apollo, c'est un peu David contre Goliath, et c'est également l'essence de l'esprit de réussite à l'américaine : tout est
possible, à condition de s'en donner les moyens. Et ce sont bien sûr les efforts que l'on fournit dans l'accomplissement de sa quête qui
font toute la valeur de cette dernière - no guts, no glory. Non content de rendre hommage à ce sport noble par excellence qu'est la
boxe, nous verrons au cours des lignes qui suivent que le scénariste Sylvester Stallone fait également au passage l'éloge d'une certaine philosophie tout
en inscrivant son oeuvre dans une réalité sociale fantasmée dont les protagonistes semblent pour la plupart avoir bien du mal à s'extirper,
Rocky représentant une lueur d'espoir dans les ténèbres.
Le film lui-même est un véritable combat de boxe : Rocky, ricain rital roi du racket travaillant pour le compte d'un mafieux méfiant mais fidèle,
lutte en premier lieu contre
son milieu, ses proches et, surtout, lui-même. Son reflet dans le miroir au début du film, sous lequel se trouve une photo de lui lorsqu'il était encore
enfant - l'âge des possibles -, et le poster de l'ancien champion de boxe dont il porte le surnom - Rocky Marciano -, tout est là pour lui rappeler qu'il est
grand temps d'arrêter de rêver sa vie pour aller vivre ses rêves. Il a trente ans et ne sera pas toujours jeune.
Un match de boxe est avant tout une épreuve d'endurance, à l'image de la vie. Ce qui compte, ce
n'est pas de gagner le combat, puisqu'il est perdu d'avance, mais de se battre jusqu'au bout. Et pour cela, il faut de la volonté. Il faut vouloir.
Il faut vouloir vivre. Rocky l'a compris : face à l'amour et la mort, il persévère et tient bon, faisant fi du pessimisme des uns et du mépris des autres.
Tenace, il serre les poings, esquive, encaisse. Avec lui, la vie n'a pas pris de gants. Il n'en prendra pas non plus avec elle. Sur le ring, il passe au premier
rang, versant des litres de sang pour montrer à tous qu'il est quelqu'un - qu'il aura été quelqu'un avant de n'être plus personne. Qu'est-ce qu'une arcade sourcilière
quand il s'agit de laisser une trace dans l'Histoire ?
Comme dit plus haut, c'est là d'un choc des titans qu'il s'agit en fin de compte et Rocky n'a pas peur d'affronter le soleil avec des gants de cire.
Venu des bas-fonds, il a vécu parmi les pauvres et les déshérités, les clochards et les filles de mauvaise vie, les soûlards et les brigands. Ne leur en
déplaise, il parviendra coûte que coûte à se tirer de là, quitte à risquer sa vie - pour la gloire. On s'en doute à la lecture du synopsis de Rocky,
c'est en réalité de sa propre histoire que Sylvester Stallone, fils d'immigré italien, ancien SDF et parvenu par la force de sa plume et de ses muscles au sommet,
nous parle. C'est d'ailleurs par ce film qu'il se hissera jusqu'aux plus hautes sphères du cinéma hollywoodien pour y devenir, aux côtés d'Arnold Schwarzenegger, de Bruce Willis et
de quelques autres, une icône du cinéma d'action, après avoir plus ou moins dû se prostituer dans un petit film érotique afin de subvenir à ses besoins vitaux.
Précisons au passage qu'il n'aurait à l'origine pas dû incarner le personnage de Rocky, dit l'étalon italien (l'anglais the Italian Stallion reprend en écho
le nom de Stallone), les producteurs refusant à l'époque de donner le rôle principal à cet illustre inconnu. Ce n'est qu'à force
de négociations - autrement dit après un âpre combat - que Stallone obtient le rôle qu'il a écrit pour lui-même. Couronné de succès, son film obtiendra bon nombre
de récompenses et sera la production la plus rentable de l'année. Ou comment faire cartonner un film de boxe au box-office.
Par là, Rocky-Stallone devient un symbole pour toute une génération d'Américains dont le rêve semblait pourtant s'être étiolé. Son courage, sa ténacité, sa volonté, toutes
ces qualités font de lui la personnification du rêve américain devenu réalité, ce rêve en lequel semble alors croire un Sylvester Stallone qui a la rage de vaincre.
En pleine guerre froide, inspiré par le combat légendaire de Mohamed Ali contre l'inconnu Chuck Wepner, qui tint justement quinze rounds face au grand champion en 1975,
Stallone défend avec son film l'image et l'idée d'une Amérique forte où tout est possible, même lorsqu'on est au plus bas, même lorsqu'on n'est qu'un immigré démuni venu
d'Italie, même lorsqu'on n'a pour soi que l'énergie du désespoir. En effet, ce n'est pas sans raison si le combat final se déroule sur un ring aux couleurs de l'Amérique,
le jour du deux centième anniversaire de la déclaration d'indépendance, et si c'est un noir descendant d'esclave qui joue le rôle d'Apollo Creed. Ce dernier représente, peut-être
plus encore que Rocky, la liberté chèrement acquise de l'ensemble du peuple américain, la possibilité qu'offre l'Amérique de parvenir un jour à ses fins à condition
de s'en donner les moyens et l'esprit de conquête qui caractérise les Etats-Unis depuis toujours. Il suffit d'y croire - d'où le nom de famille d'Apollo, creed
renvoyant en anglais à la croyance.
On pourra bien sûr longuement revenir sur le souffle ouvertement idéologique qui balaye le film d'un bout à l'autre
- et tenter d'imaginer ce que l'on en aurait dit si le film avait été français -, se demander pour quelle raison l'usurier
des bas quartiers est présenté de manière aussi positive (il donnera, par générosité pure, 500 dollars à Rocky pour
la préparation du match) et se gausser du manque de réalisme relatif du combat final (Rocky ne monte jamais sa garde) et
de la simplicité naïve des personnages (la faute à des dialogues qui ne semblent pas
toujours très naturels en dépit d'un réel effort sur ce point), il n'en demeure pas moins que Rocky
mérite indéniablement son statut de grand classique, en ce qu'il a su marquer durablement son époque par l'universalité de sa morale (quand on veut, on peut, et
c'est par ses efforts
et dans l'adversité que l'on se construit),
le charisme de son personnage principal, une mise en scène efficace et, cerise sur le gâteau, la puissance inénarrable de sa bande
originale, reconnaissable entre toutes. Rocky est un film que l'on a plaisir à voir et à revoir et qui
donne à tous les rêveurs entreprenants l'inspiration nécessaire à la réalisation de leurs projets les plus fous. Après tout, cela ne devrait-il pas être
l'un des rôles fondamentaux de toute forme de fiction ?
Note : 9/10
Werna 2009-2023