Année : 1988
Titre original : The Blob
Réalisateur : Chuck Russell
La paisible existence des paisibles habitants d'une paisible petite bourgade américaine tourne au cauchemar lorsque,
soudain, tombe au coeur d'une forêt ténébreuse une étrange météorite. A l'intérieur, une surprise organique pour le moins
vorace. C'est un vieil homme qui, le premier, fera les frais
de cette intrusion dans notre atmosphère d'une créature étrangère : sur son poignet s'accroche le blob, un parasite gélatineux
dont il ne peut dès lors plus se défaire. Des jeunes gens viennent à son secours - Meg Penny, une pom-pom girl,
son petit ami Paul Taylor, un joueur de football émérite, et, bien malgré lui, Brian Flagg, le mauvais garçon du lycée.
Tous trois accompagnent en toute hâte le vieillard à l'hôpital, mais il est déjà trop tard. Le pauvre homme succombe, dévoré par la masse
informe que forme le blob. Paul Taylor y laisse également la vie, qui fondra littéralement devant sa pom-pom girl éplorée,
ne lui laissant pour tout souvenir qu'un modeste avant-bras. Le monstre grossit à vue d'oeil. Il faut à tout prix
quitter l'hôpital, avertir les habitants,
sauver le monde. Meg et Brian y parviendront-ils ? Evidence. Après avoir découvert que cet immonde crachat sidéral
de couleur rose craint le froid, qu'il ne vient en réalité pas de l'espace, mais se trouve être le produit d'une expérience scientifique
dont le but était de créer l'arme biologique ultime, guerre froide oblige, et qu'il
compte bel et bien engloutir tout le monde sur son passage,
Meg et Brian font exploser le blob de l'intérieur à l'aide d'une bonbonne de neige artificielle. C'est la nuit, c'est Noël et c'est également
le début d'une grande histoire d'amour.
Tout est bien qui finit bien dans le meilleur de l'immonde. Faim.
Remake du film éponyme de 1958 réalisé par Irvin S. Yeaworth Jr. et de Russell S. Doughten Jr., Le Blob
se veut manifestement un hommage aux séries B de monstres et de science-fiction des années 1950, qui s'inscrit dans la droite lignée des films
d'horreur sympathiques des années 1980 et du début des années 1990 (The Toxic Avenger (1984, de Michael Herz et
Lloyd Kaufman), Le Retour des morts-vivants (1985, de Dan O'Bannon), Critters (1986, de Stephen Herek), Bad Taste (1987,
de Peter Jackson), Les Clowns tueurs venus d'ailleurs (1988, de Stephen Chiodo), Tremors (1990, de Ron Underwood)).
Si les deux réalisateurs n'entendent pas faire accéder leur oeuvre au statut de chef-d'oeuvre, loin s'en faut, ces derniers ne se privent pas
pour autant du plaisir de proposer à leurs spectateurs un divertissement fort bien calibré, dont l'efficacité tient à plusieurs facteurs
typiques du cinéma américain. Et ce sont précisément ces facteurs que l'auteur de ces lignes tentera brièvement
d'analyser au cours des paragraphes qui suivent.
Il convient en premier lieu d'aborder la question de la diégèse. Ou, plus précisément, du scénario, qui, s'il n'a rien d'original dans ce film,
fonctionne malgré tout. Pourquoi donc ? Eh bien tout simplement parce qu'il repose sur une structure sous-jacente commune à l'ensemble ou presque des
récits humains, quelle que soit leur forme : une situation initiale, qui correspond
en tout point aux normes économiques, politiques, morales et sociales de l'époque et du pays concernés, dans un endroit normal
peuplé de gens normaux (nous y reviendrons), est
bouleversée par l'arrivée soudaine d'un élément perturbateur - ici, le blob. Cet élément perturbateur est une menace pour l'ordre établi,
que les personnages principaux, les protagonistes (étymologiquement parlant, les combattants), se donnent pour mission de sauvegarder,
voire de rétablir. Dès lors, ces héros trouveront sur leur chemin des adjuvants (la patronne d'un restaurant, le shérif) et des opposants
(les militaires et les scientifiques qui ont créé le blob). Après un âpre combat cependant, le chaos cesse, et l'ordre de revenir au sein
de la communauté, plus soudée que jamais, comme en témoigne la formation d'un nouveau couple au sein de cette dernière - le monstre
joue donc un rôle social essentiel, puisqu'il permet au groupe de rester solidaire et de comprendre, par la conscience de la menace qu'il (le monstre
ou l'élément perturbateur)
fait peser sur
lui (le groupe), sa raison d'être en tant, justement, que groupe ; autrement dit la survie. C'est là ce que le monstre nous montre, car il n'est jamais que monstration.
Cette structure de base donne à toute histoire un intérêt certain, puisque le spectateur, peut-être malgré lui,
souhaite de toutes ses forces le retour à l'ordre établi, tout en prenant un malin plaisir, et cela peut paraître paradoxal (mais après tout, c'est
là le propre du paradoxe que de s'opposer à la norme), à voir son propre monde s'effondrer le temps
d'une séance, confortablement assis sur son confortable séant.
Mais une histoire, aussi intéressante soit-elle, n'est rien sans les personnages et les lieux qui la peuplent et la meublent. Et si, comme nous
l'avons vu, cette histoire est des plus stéréotypées, il en va de même de ses protagonistes et de ses lieux. Le village, ou plutôt la petite ville
du Blob,
est une ville archétypale - au sein d'une Amérique idéalisée tout du moins. Sa ruralité relative - il y a tout de même quelques commerces et, ce qui fait sens, un
cinéma -, ses habitants somme toute assez sympathiques, bons vivants et dans l'ensemble unis par des coutumes plus ou moins traditionnelles - en l'occurrence,
le football et la messe... -, son atmosphère proche de celle des westerns d'antan, nous rappellent qu'il s'agit là d'une ville héritée directement
des pères de l'Amérique profonde, tout aussi puritains qu'épris de liberté, dont les descendants - les bons, les brutes et les truands - ont toujours
su d'instinct conserver en eux-mêmes quelque méfiance à l'égard du gouvernement fédéral américain, de ses ingérances et de son objectif, évident, de tout
centraliser. Cet aspect se retrouve d'ailleurs dans le scénario même du film,
puisque s'opposent et s'affrontent ici les personnages principaux et l'armée de scientifiques et de militaires américains.
Ces personnages, parlons-en. Les trois jeunes gens qui sauvent le grand-père au
tout début du Blob sont également, comme nous l'avons dit, des stéréotypes, voire des caricatures :
il y a le footballeur promis à un brillant
avenir, la jeune fille à papa, sage et obéissante, uniquement attirée par les hommes à la virilité certaine, et le mauvais garçon, hors-la-loi solitaire
sur sa moto bricolée d'un autre âge. En somme, on retrouve ici le bon, la belle et le truand. A noter que le bon meurt assez rapidement
pour laisser la place au truand,
plus rusé, plus résitant, plus intéressant, qu'on croirait tout droit sorti de La Fureur de vivre (1955,
Nicholas Ray), modèle
de base des films pour adolescents et, donc, du cinéma d'horreur américain, dont c'est le public traditionnel - la cible privilégiée.
Ce qui nous mène à notre dernier point, le cinéma d'horreur. Car de cinéma d'horreur il s'agit bel et bien ici.
Le Blob met en scène, nous l'avons dit, une créature parfaitement informe, ou plutôt
protéiforme, insaisissable et mortelle, hideuse, visqueuse et vicieuse,
issue des recherches d'un groupe de scientifiques frankensteiniens - si je puis me permettre le néologisme -
dont le but était au départ d'anéantir l'ennemi soviétique et d'en finir avec la guerre froide.
En ce sens, le blob, dont l'arrivée sur Terre et la progression meurtrière
à travers la ville se produisent de nuit, représente à lui seul l'ensemble de nos peurs ancestrales : le noir, la mort et, par là, nous-mêmes.
La peur, c'est toujours la peur de l'inconnu. De ce qui est autre, de ce qui est étranger, donc étrange, et
de ce qui par nature échappe à toute représentation.
D'où la peur du noir, puisqu'on ne sait jamais ce qui des tréfonds d'une obscurité délétère
pourrait surgir. D'où la peur de la mort, puisque c'est là la limite ultime de notre conscience, qui disparaît avec elle.
D'où la peur de nous-mêmes, puisque
nous sommes les premiers artisans de nos frayeurs nocturnes. Sans cesse, face à l'inconnu, l'innommable, l'informe, notre imaginaire s'active,
travaille et transforme,
peuplant notre quotidien de monstres aux formes diverses et variées, de fantasmes et de fantômes au visage flou -
pour nous rassurer, aussi paradoxal que cela puisse paraître. C'est par conséquent dans la
peur que la fiction trouve ses racines. Nous avons peur, donc nous lisons, rêvons, réfléchissons, regardons des films, jouons aux jeux vidéo, consommons
sans fin des oeuvres de fiction, comme si ces dernières pouvaient faire écran aux peurs qui les ont engendrées. Le Blob
est l'une de ces fictions, qui place son spectateur face à lui-même en lui rappelant par son propos la raison même de sa présence au cinéma. Et
c'est dans ce cinéma, lui-même devenu fictif, que le blob s'introduit à l'improviste au cours de l'une des scènes-clés du film, comme pour nous rappeler
que la peur - même sous forme de film - n'efface pas le danger. Car la mort, elle, est bien réelle. Présente et possible à tout moment. C'est ça, l'horreur. De cette
ubiquité de la mort - et du blob - naît le suspense consubstantiel au cinéma d'horreur : le monstre, polymorphe, est là, quelque part, tapi
dans l'ombre, entre ici et ailleurs, nulle part et partout à la fois, tantôt à l'arrière-plan, tantôt au premier plan, parfois même dans un angle mort,
qui guette et se jette froidement sur ses victimes, impuissantes à l'image du spectateur, qui du fond de son fauteuil se sent déjà fondre
et, par conséquent, porte un intérêt démesuré aux scènes qui en sont le plus dénuées.
En somme, Le Blob nous donne à voir, en raison même de son imperfection - toute relative -, toutes les ficelles
de sa confection : sa structure narrative, ses personnages stéréotypés, son mécanisme - propre au cinéma d'horreur depuis le
Psychose réalisé en 1960 par Alfred Hitchcock. Cela suffit à le rendre intéressant. Il ne faudrait cependant pas oublier non plus
qu'en temps de guerre froide, ce film donnait
à tous une leçon capitale : la peur est le pire ennemi de l'homme.
Note : 7/10
Werna 2009-2023