Année : 2008
Titre original : The Wrestler
Réalisateur : Darren Aronofsky
C'est l'histoire de Randy le bélier ("Randy the Ram"), alias Mickey Rourke, un champion de catch dont la carrière
touche à sa fin et qui se voit contraint, pour payer son loyer et subvenir à ses besoins, de travailler dans une grande surface. A cause de
gros problèmes de santé, on lui annonce qu'il est temps de prendre sa retraite, mais certains événements dans sa
vie privée - le rejet de son amour par une strip-teaseuse, Cassidy, et l'impossibilité de renouer avec sa fille,
Stephanie - le pousseront à reprendre une dernière fois du service pour le plus grand plaisir des quelques fans
qu'il lui reste, malgré son coeur fatigué, désormais marqué par une vilaine cicatrice.
Que ceux qui s'attendent à voir des combats de catch ultra-violents passent leur chemin (ou patientent jusqu'au seul
véritable combat du film, puis aillent faire autre chose) : The Wrestler est avant
tout ce que l'on pourrait appeler une comédie dramatique, servie par des acteurs remarquables, Mickey Rourke en tête, lui-même
ancien boxeur, et qui nous tient en haleine jusqu'au bout sans avoir recours à d'innombrables scènes d'action. Le scénario, s'il rappelle par certains aspects le Rocky Balboa réalisé deux ans plus tôt par
Sylvester Stallone, se démarque en jouant la carte d'une certaine forme de réalisme pessimiste - on espère jusqu'au bout
que les choses vont s'arranger mais, à la manière d'une tragédie, lorsque le film commence, c'est déjà trop tard - et c'est
un homme fini, sur le déclin, que la caméra de Darren Aronofsky nous invite à suivre pendant un peu moins de deux heures dans ce
qui ressemble fort à une sorte de documentaire, et
quand je dis suivre, je parle de le suivre au sens littéral : les trois quarts du temps, la caméra, comme dans Elephant, de
Gus Van Sant, est placée derrière les
trop larges épaules de Mickey Rourke, qui dépasse constamment du cadre, et pas seulement pour nous dire que Randy est un "gros
mec hyper costaud" : s'il dépasse du cadre, c'est probablement que quelque chose à son sujet nous échappe, et on ne saura
jamais vraiment quoi.
Si l'on voulait se donner la peine d'analyser un tant soit peu le film, il y aurait également beaucoup à dire sur la comparaison qui est
faite entre Randy et Jésus Christ par la strip-teaseuse - ça fait kitsch, dit comme ça, mais je suis très sérieux -, notre héros
subissant mille supplices à chacun de ses combats pour satisfaire ses spectateurs. De plus, si, comme ses adversaires, il joue la comédie (les
combats, comme tout le monde le sait, sont truqués et scénarisés à l'avance), il n'en demeure pas moins qu'il s'inflige des
dégâts corporels réels (lorsqu'il se coupe le front avec une lame de rasoir pour faire croire que son adversaire l'a blessé,
par exemple, la blessure bien réelle devenant de la sorte une illusion...), sans compter la fatigue et son "grand âge", qui finiront
par avoir raison de lui (du moins, probablement, si l'on en juge par les derniers plans du films, notamment celui où, après avoir
signalé par une main sur le coeur qu'il est sur le point d'avoir une nouvelle attaque, Randy monte sur l'un des coins du ring et
se jette au sol les bras en croix (sa prise préférée, le "ram jam"), laissant derrière lui, dans le plan, un plafond complètement vide...).
Non, ce n'est pas La Passion du Christ, de Mel Gibson, mais au fond, nous n'en sommes pas très loin. Cependant, se limiter
à cet aspect symbolique du film serait probablement passer à côté de son aspect auto-réflexif. J'entends par là qu'on nous
montre tout de même un acteur, un artiste, dont toute la vie repose sur l'artifice, qui malgré tout souffre réellement pour donner
à son public ce qu'il attend, et c'est justement sa vie réelle, privée, celle-là même qui lui a littéralement brisé le coeur, qui le
poussera à se donner une dernière fois en spectacle, ce moment constituant une double catharsis, à la fois pour les spectateurs fictifs
représentés dans le film, qui ont besoin de voir ce déchaînement de violence et de souffrance pour se sentir mieux, et pour les
spectateurs que nous sommes, qui, au fond, éprouvent le même besoin, l'artiste rachetant nos "péchés", nos pulsions, en sacrifiant sa propre vie.
Il ne faudrait par ailleurs pas oublier non plus le parallèle qui est établi entre Randy et Cassidy, la strip-teaseuse, puisque celle-ci fait en
réalité exactement le même sacrifice que Randy... Alors, cinéma et strip-tease, même combat ?
J'arrête ici mes digressions analytiques et me propose de me limiter à un verdict simple :The Wrestler
est un très bon film et, s'il rappelle un peu trop Rocky Balboa, se démarque par l'intelligence de son propos et les
émotions qu'il parvient à provoquer chez le spectateur. On pourra y voir une vision critique de l'Amérique (les références constantes
à l'Amérique des années 80, celle de Rocky et des Guns'n'Roses, dont il ne reste plus que ces ruines vivantes que sont Cassidy et
Randy le bélier, pourraient nous faire penser qu'Aronofsky dresse ici le bilan d'une certaine Amérique qui a fait son temps, mais dont il subsiste une nostalgie palpable...), une variation sur
le thème du bouc émissaire - ou plutôt, du bélier émissaire - ou bien encore une réflexion sur le statut de l'art dans notre
société, mais le plus important demeure tout de même que le film est tout simplement bon, bien pensé, bien scénarisé, bien filmé, exceptionnellement
bien interprété, et, surtout, ne lasse pas. Comme le bélier, il va droit au but, et c'est tout ce qu'on lui demande.
Note : 8/10
Werna 2009-2023