Accueil

Le Hobbit : un voyage inattendu


Le Hobbit : un voyage inattendu Année : 2012

Titre original : Bilbo the Hobbit : An Unexpected Journey

Réalisateur : Peter Jackson

Au crépuscule de sa vie, Bilbon Saquet nous conte au fil de ses mémoires le jour où Gandalf le Gris, accompagné de treize nains tous plus exubérants les uns que les autres, s'invita dans son trou de Hobbit, au coeur de sa Comté bien-aimée , sans même l'en avoir au préalable averti. En bon Hobbit qu'il était, Bilbon n'osa point cependant se dérober à ses obligations d'hôte respectable, qui leur servit gîte et couvert en dépit de sa réticence première. Il se vit alors offrir, au terme de cette longue et festive soirée, la chance de partir à l'aventure aux côtés de cette joyeuse compagnie dans le but de récupérer leur ancestrale demeure et, surtout, de remettre la main sur leur inestimable trésor. Après avoir décliné l'invitation, Bilbon changea finalement d'avis pour s'embarquer dans un voyage pour le moins inattendu, qui le mènerait de son quotidien répétitif, morne et triste, aux confins de la Terre du Milieu, face à des hordes de gobelins, d'orques et de gwargs, où l'attendait, tapi dans l'ombre sous la montagne des nains, le dragon cracheur de feu de sa destinée, tout aussi immonde qu'immense, et dont la puissance n'avait d'égale que l'avarice.

Dix ans après Le Seigneur des anneaux - la Communauté de l'anneau, Peter Jackson, peut-être victime du syndrome "George Lucas", nous propose une préquelle à sa première trilogie, choisissant pour ce faire d'adapter assez librement le chef-d'oeuvre de Tolkien, j'ai nommé Bilbon le Hobbit. Et de transformer un livre unique d'environ quatre cents pages, empreint de poésie, d'humour et de fantasie, de le transformer, dis-je, en une trilogie semblable en de nombreux points à la précédente. Et c'est là que le bât blesse, hélas, comme nous le verrons au cours des lignes qui suivent, en dépit de qualités indéniables.

Tout d'abord, un premier constat s'impose : contrairement au réalisateur de La Guerre des étoiles, Peter Jackson est resté fidèle à lui-même en respectant l'esprit de sa première trilogie. En résulte une grande cohérence esthétique : les plans truffés d'images de synthèse sont de retour, de même que les paysages néo-zélandais, l'Anneau unique, le souffle épique des scènes de bataille, les compositions d'Howard Shore (sensiblement identiques, si l'on excepte l'introduction de quelques nouveaux thèmes), et les acteurs (Ian McKellen, alias Gandalf, mais également Elijah Wood, qui fait une brève apparition dans le rôle de Frodon, et le ténébreux Christopher Lee dans celui de Saroumane, pour n'en citer que quelques-uns), le film sollicitant de la sorte constamment la fibre nostalgique des spectateurs en accumulant les clins d'oeil (parfois littéralement, lors de la rencontre entre Gandalf et Galadriel) et les références au Seigneur des anneaux, tant et si bien que l'on finit par avoir la curieuse impression de voir et d'avoir deux films en un (ce qui explique peut-être la forme discutable de la trilogie).

Deux films pour le prix d'un, c'est le défi que semble avoir tenté de relever le réalisateur protéiforme de Braindead. Si le premier consiste en une série de saynètes anecdotiques disséminées avec parcimonie tout au long de ce trop long métrage (nous y reviendrons), le second n'est autre que l'adaptation plus ou moins fidèle du roman de Tolkien, dont l'histoire se peut résumer en quelques mots seulement : Bilbon rencontre Gandalf, qui l'enjoint d'aller combattre un dragon malfaisant dans le but de rendre aux nains leur montagne - ce qu'il fait. Chemin faisant, il se retrouve par hasard nez à nez dans une grotte avec Gollum, une créature énigmatique dont, sans le savoir, il subtilise l'anneau, lien ultime entre les deux trilogies ; la boucle est bouclée. Comme on peut le voir, le prétexte (sorte de réécriture du mythe de David contre Goliath) est un peu maigre pour tenir le spectateur en haleine pendant un peu moins de trois heures, et à plus forte raison pour l'inciter à s'infliger près de six heures supplémentaires de péripéties hobbites. D'où l'entrelacs d'auto-références, d'apparitions de guest stars et de scènes d'action qui, somme toute, fonctionne plutôt bien, si l'on excepte sa redondance intrinsèque. A force d'en rajouter, Peter Jackson finit par lasser un spectateur qui était pourtant tout acquis dès le départ à sa cause. Certes, les nains sont attachants (Peter Jackson n'ayant pas commis l'erreur d'introduire un Jar Jar Binks de service) ; certes, le choix des acteurs s'avère, une fois de plus, efficace ; certes, les décors sont toujours aussi beaux ; certes, retrouver Gandalf est un réel plaisir ; certes, il y a des scènes mémorables (le repas dans le trou de Hobbit, avec les nains, qui n'est pas sans rappeler, par son aspect grotesque, le deuxième repas de Braindead, avec ses convives zombifiés) ; certes, on passe, dans l'ensemble, un bon moment devant Le Hobbit : un voyage inattendu, mais...

Mais tout cela sent le réchauffé, la mécanique trop bien huilée, comme si le réalisateur, à l'instar de Bilbon Sacquet, son sédentaire de Hobbit, avait voulu conserver sa vaisselle au propre à tout prix, si bien que ce voyage n'a rien d'inattendu, l'impression de déjà vu l'emportant allègrement sur l'émerveillement que provoquait et provoque encore la première trilogie. En somme, cette préquelle souffre de ses qualités : Peter Jackson n'ayant surtout pas voulu décevoir les fans de la première heure (et probablement lui-même, ce qui est tout à son honneur), il n'a pas pris, sinon vis-à-vis du récit de Tolkien, le moindre risque (à l'exception de la 3D, plus qu'accessoire, et du tournage en 48 images par seconde, contre 24 habituellement). Pire, il s'est auto-parodié malgré lui : les plans panoramiques voltigent en tous sens au point de donner la nausée, le montage des batailles est tellement rapide et les plans, tellement rapprochés, tellement saccadés, tellement imprécis, qu'on n'y voit plus rien parfois pendant plusieurs minutes d'affilée (phénomène typique des années 2000, qui virent se répandre comme une traînée de poudre dans le cinéma américain des montages totalement illisibles, dangereux pour les épileptiques et qui n'étaient pas sans rappeler les techniques utilisées depuis longtemps déjà par les publicitaires), le scénario s'enlise dans le marasme de la grandiloquence et, c'est un comble, les images de synthèse ne sont pas toujours au niveau de la première trilogie, pourtant réalisée dix ans plus tôt. Cela sans compter la longueur du film, totalement inappropriée, puisque le souffle épique du début finit par s'essoufler complètement après tant de marche et de combats sans réel intérêt. Lorsque le dragon s'éveille enfin, le public, lui, s'est endormi depuis belles lurettes (ou du moins ses neurones).

En somme, Le Hobbit : un voyage inattendu ravira sans doute les fans de la première heure, qui passeront un agréable moment devant cet agréable divertissement, se délectant au passage d'apparitions fort attendues, d'échos incessants entre cette préquelle et la première trilogie (la rencontre de Gollum, la découverte de l'anneau, l'inquiétude manifeste de Gandalf à l'égard de ce dernier, qu'il semble deviner à moitié dans la poche de Bilbon), du retour appréciable des thèmes musicaux du Seigneur des anneaux et d'une scène d'anthologie : l'arrivée des nains dans le trou de Bilbon - sans mauvais jeu de mots. Pour les plus exigeants des cinéphiles, en revanche, il sera plus difficile d'endurer ces trois heures d'aventure sans fustiger le créateur iconoclaste de Bad Taste pour avoir par trop complexifié le conte bon enfant de Tolkien en le mélangeant à d'autres récits du maître. Seule la création de parallèles évidents entre l'histoire de son film et l'Histoire de l'humanité, notamment l'histoire du peuple juif, les tiendra peut-être en haleine. En effet, comment ne pas voir, dans cette quête des nains, sans cesse chassés de leur territoire et pourchassés par de redoutables ennemis, privés de leur montagne et de leur trésor par un dragon monstrueux dont c'était là le but unique, la quête plurimillénaire des Juifs pour atteindre la Terre Promise, devenue Terre Conquise, qu'aujourd'hui l'on appelle Israël ?

Note : 7.5/10 (Le Hobbit : un voyage inattendu, malgré tout ce que l'auteur de ces lignes en a pu dire, est tout de même un beau film dans l'ensemble.)


Werna 2009-2023