Année : 2010
Titre original : Mammuth
Réalisateurs : Gustave Kervern et Benoît Delépine
Une belle histoire : au moment de son départ à la retraite, Serge Pilardosse, employé d'une usine à
cochons, s'aperçoit qu'un certain nombre de
documents lui manquent pour obtenir tout ce dont il s'estime en droit de bénéficier. Il abandonne donc aussitôt sa femme,
caissière de son état, plus ou moins à contre-coeur, pour partir sur sa vieille Münch Mammuth, une moto mythique de 1973, en quête
de ses "papelards" et de ses anciens employeurs, l'occasion pour lui de faire le point sur sa vie, de déterrer des souvenirs
enfouis sous le poids des ans aux quatre coins de la France
et de faire enfin face aux fantômes de son passé, dont l'esprit d'une étrange jeune femme au visage d'ange couvert de sang...
Sa rencontre avec Miss Ming, une artiste aux allures de folle qui se trouve également être la fille de son frère, sera déterminante.
Comme on peut le voir ici, l'humour corrosif de Gustave Kervern et Benoît Delépine sert dans Mammuth
une fable pour le moins touchante, dont certaines scènes ne sont pas
sans rappeler l'excellent The Wrestler de Darren Aronofsky, sorti
deux ans plus tôt : Gérard Depardieu, grand, gros et gras, les cheveux longs à peine coiffés, se déplace au début la caméra dans le dos,
parcourant ici les couloirs grisâtres de son usine, et là les allées austères et froides d'une grande surface où les vieillards meurent à côté
du rayon surgelés sans que personne n'y prête attention - Serge lui-même hésitant quant à ses obligations avant, finalement, de s'éloigner
comme si de rien n'était. Mais au-delà du personnage principal et de quelques angles de vue caractéristiques, c'est l'histoire même de
Mammuth qui fait directement référence à l'oeuvre d'Aronovsky :
un homme sur le déclin repart à l'aventure pour un dernier round avec la vie.
Et ce dernier round, ce dernier tour (de France), sera l'occasion pour lui de tourner enfin la page et de tirer définitivement
un trait sur ses vieilles
hantises. Retrouvant la mémoire après de longues années d'un travail répétitif et rébarbatif,
il se rappelle ses amours mortes avec une jeune fille (Isabelle Adjani) qu'un accident de moto tua quelques dizaines d'années plus tôt -
c'est le fantôme de cette dernière, son souvenir ensanglanté, qui sur le trajet de son passé l'accompagne de rencontre en rencontre,
jusqu'à ce qu'enfin Serge Pilardosse réalise, peut-être grâce à Miss Ming, et donc grâce à l'art
(brut, ici), qu'il est grand temps de vivre dans le présent. Il vend alors sa vieille Mammuth afin d'assurer
ses vieux jours et retourne chez lui dire à sa femme combien il l'aime.
A la fin du film, une question subsiste néanmoins : pourquoi les réalisateurs l'ont-ils appelé Mammuth ?
Certes, il y a la moto de Serge, mais cela ne saurait être une raison suffisante. Cette Epona mécanique, aussi éponyme soit-elle, n'en cache
pas moins d'autres significations possibles. En effet, outre le nom d'un animal préhistorique bien connu de nos ancêtres, ici représentés
par ce primate de Serge Pilardosse, il serait difficile, pour les spectateurs suffisamment âgés, de ne pas reconnaître dans le nom de cette moto
celui d'une chaîne de magasins célèbre aujourd'hui disparue : Mammouth. Un lien d'autant plus pertinent que le personnage principal découvre, au cours
de son voyage, qu'une partie des entreprises qui l'ont employé dans sa jeunesse ont depuis longtemps fermé leurs portes, le laissant dans
l'incapacité totale de retrouver ses fameux "papelards" - ce qui, au passage, soulève symboliquement le problème d'une France amnésique, à
l'instar de Serge, dont la quête principale finit justement par consister à retrouver la mémoire. Enfin, l'auteur de ce site, par prétérition,
ne vous fera pas l'affront
d'établir un lien psychanalytique entre Mammuth, mémoire, amour et maman, beaucoup trop évident pour que l'on s'attarde ici dessus.
En conclusion, Mammuth est une oeuvre bien plus riche et plus intelligente
qu'il n'y paraît au premier abord, dans laquelle
on nous montre une France que l'on n'a pas nécessairement l'habitude de voir sous cet angle (de caméra), Gérard Depardieu s'y taillant au passage
un
rôle original à sa démesure, tandis que Miss Ming illumine littéralement le film de sa présence candide et poétique. On peut le dire, c'est un
bien beau cadeau que nous ont offert Gustave Kervern et Benoît Delépine avec cette bien belle histoire de professionnel du lard à la recherche
de ses "papelards".
Note : 8.5/10
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